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mardi 25 juin 2024

Electre au 21ème siècle

 ATTENTION REPRISE DU COUP DE COEUR OFF 2023


HEUREUX LES ORPHELINS







Que vous soyez férus de mythologie ou bien de théâtre, ou bien que votre scolarité vous ait laissé “de beaux restes”, il est possible que l’histoire d’Electre et de son frère Oreste éveillent quelques souvenirs en vous.

C’est bien à ces deux là que nous avons affaire dans cette pièce, librement adaptée de Giraudoux, qui avait lui même déjà librement adapté le mythe originel. 


Mais il est inutile de réviser avant de venir voir le spectacle, qui vaut par lui même et vous tient en haleine d’un bout à l’autre!


Ainsi, au Royaume d’Argos, transformé en haut lieu de la gastronomie dont le chef et roi s’est donné la mort, nous retrouvons Clytemnestre et ses enfants , à savoir Electre l’affamée de justice et de vengeance et Oreste, son frère qui tente de continuer sa vie dans la politique, grâce aux petits arrangements du language dont il est devenu un expert auprès d’un ministre qui vous rappellera bien des hommes politiques de notre temps. Il est aussi torturé qu’Hamlet et sommé par Electre de venger son père.


L’adaptation proposée par Sébastien Bizeau est d’autant plus intéressante, que ce ne sont pas des détails qui sont actualisés mais les armes mêmes du combat. Quant à la forme, quoi de mieux pour une histoire de vengeance qu’un thriller philosophique? Pour autant, le texte de Giraudoux est adapté mais extrêmement respectueusement transmis, parfois à la lettre près.


Pourquoi la jeune Electre hait sa mère à ce point? Pourquoi ceci est-il une histoire de vengeance, alors qu’il n’y a pas d'ambiguïté sur les raisons du décès du père adoré (Agamemnon pour les intimes….)? S’il n’y a pas d’épée tranchante, comment la vengeance aura-t-elle lieu?

Comme souvent dans les meilleures enquêtes, on s'aperçoit après coup que tous les éléments se sont mis en place dès le début…Alors ouvrez l'œil et ouvrez les oreilles!


Les personnages , gravés dans l’inconscient collectif du théâtre pourraient sembler difficilement compatibles avec notre ère connectée, où les comptes se règlent sur twitter par shitstorm interposée… C’est toute l’intelligence du texte, de sa mise en scène et de son interprétation: les petits arrangements avec les morts et avec les vérités , les histoires familiales révisées, la tromperie, la jalousie, …..Franchement, peut-on dire des passions tristes et de la course au pouvoir que notre soi-disant progrès les a atténués?

L’auteur nous rappelle avec art que les mots sont si puissants qu’ils peuvent à la fois enfanter et tuer. Il y a de purs morceaux d’anthologie dans cette pièce, quand s’entremêle le jargon managérial et la communication politique. On en rit surtout parce que c’est “tellement vrai”, proche de nous, et tellement bien interprété, et pourtant, on pourrait à l’instar d’Electre, le dénoncer quitte à créer le chaos.


Chaque personnage porte sa vérité recomposée, son langage, selon son positionnement sur l’échiquier. Pas un noir, pas un temps mort, et des trouvailles scéniques qui vous arrachent tantôt des larmes tantôt un rire inattendu (voir notamment les personnages du cousin Pilade et ses avatars, en cœur antique un peu particulier, ou celui du ministre, pour lequel Oreste écrit des discours avec son cousin, que l’on sent bien proche du besoin de révélation de la belle Electre.


Le décor est d'une sobriété salutaire, mettant en avant les enjeux, les personnalités, le jeu des comédiens qui irradient littéralement cette histoire et en même temps la font chair et vérité avec et au-delà du verbe. Les quelques objets qui servent la scénographie ont trait à la communication et l’éclairage, autour d’un dispositif de salle d’attente nomade.


Un autre gros atout du spectacle, c’est sa distribution. Oreste et Electre, héros de cette machine infernale en marche, frère et sœur le plus souvent en communication par téléphones interposés, sont incarnés par deux comédiens lumineux et ombrageux à la fois. Electre est servie par l'énergie revendicatrice et habitée par la vengeance de Maou Tulissi , dont le visage pré raphaélique contraste avec la brutalité incandescente du personnage, et à laquelle s’oppose le jeu à la fois sobre et habité de Mathieu Le Goaster qui joue un Oreste  torturé et fidèle à sa sœur sans parvenir tout à fait à hair une mère imparfaite. Un Oreste qui est aussi le maître du jeu car il est le maitre des mots. Sensible dans l’intimité de la famille, presque cynique en situation de travail auprès d’un ministre burlesque, il est le fil de l’histoire et le bras vengeur, l’artisan du dernier événement, que je ne veux pas dévoiler ici.

Cette mère, Clytemnestre, est jouée par Cindy Spath, qui donne à la figure mythique de la mère indigne une épaisseur complexe, sensuelle et troublante, presque aimable. Faut-il la condamner? S’est-elle condamnée elle même? Bien que la pièce nous apprenne rapidement sa maladie puis son coma, lorsque son fantôme revient plaider sa cause auprès d’Oreste et d’Electre, l’incarnation de la comédienne nous met dans un nécessaire inconfort, car là encore c’est bien de langage qu’il s’agit. Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où est-elle allée? A-t-elle joué, vraiment, un rôle dans le suicide de son époux? Avoir un amant est-il vraiment une vilenie méritant punition?


Les autres personnages sont interprétés par deux comédiens véritablement déjantés: Emmanuel Gaury  incarne en effet, tour à tour, dans un vent de folie, Egisthe (amant de Clytemnestre, coupable présumé de la mort du père- Agamemnon, toujours- le Ministre dont Oreste conduit la communication, le médecin qui annonce les mauvaises nouvelles de la santé de Clytemnestre à l'hôpital (les mots, toujours les mots), le prêtre de l’hôpital ….


De même pour le comédien Paul Martin, qui joue le tendre Pilade, cousin de la famille fort proche d’Electre, plaidant pour une parole plus vraie auprès d’Oreste quand il s’agit de repenser les discours du ministre, notamment au sujet du glyphosate (et oui!). Ce n’est pas son seul talent, mais puis-je dévoiler qu’une des scènes les plus folles lui revient, et qu’il pousse ma foi plutôt bien la chansonnette? Tour à tour psychologue lacanien, barman cosmique, porteur de  lumière, attaché parlementaire?… Il est époustouflant.


Bref, cette pièce est un véritable coup de cœur, que vous devez absolument venir voir cet été au théâtre de l’Oriflamme! 



Tous les jours à 16h45 (relâche les mardis)

Théâtre des Gémeaux


Texte et mise en scène Sébastien Bizeau

Avec Cindy Spath, Maou Tulissi, Paul Martin, Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster,

Lumières et vidéo: Thomas Nimsgern

Costumes : Claire Bigot

Attachée de presse : Dominique Lhotte


Crédit photo : Cie Hors du temps



lundi 10 juin 2024

La prostitution étudiante : une pièce pour comprendre et espérer : J'aimerais Arrêtée par Adeline Avril




Alors qu'elle n'en peut plus, un soir, Sonia recherche de l'aide sur internet. Trouvant le site d'une association dont la mission est d'aider les étudiants et étudiantes à sortir de l'engrenage de la prostitution, elle laisse ce message, comme on lance une bouteille à la mer: "je voudrais arrétée". La faute d'orthographe est aussi vraie que l'histoire de Sonia. Ce qui suit, c'est la relation épistolaire (digitale) qui va se créer entre elle et François, bénévole de cette association, dans le chaos du monde. 

Y-a-t-il encore du sens à rechercher de l'aide, à l'espérer de l'autre un mot qui fait la différence ?

Y-a-t-il encore du sens à aider sans rien attendre en retour qu'une flamme de vie dans l'autre qu'on ne connaît pas et qui sombre ?

J'aime beaucoup le théâtre de Violaine Arsac. Elle aborde des sujets dramatiques et cherche le meilleur angle afin de faire entrer la lumière par les brèches, même lorsqu'elle traite des sujets les plus désespérants. Ici, il s'agit de la prostitution étudiante.

Encore une fois, elle a trouvé le moyen de traiter théâtralement ce sujet de façon inédite, tout en y mettant une pincée d'espoir.

Bien évidemment, on ne verra pas ici un énième Christiane F et c'est sans doute ce qui est perturbant dans la version qui nous est proposée. L'héroïne est bien loin des clichés que l'on a souvent associés à la prostitution : drogue, déchéance physique et psychique, maladie mentale ou autre, et si son incapacité à résister à l'argent "facile" en vendant son corps l'amène souvent au bord du gouffre, lui donnant envie de mourir, elle continue malgré tout, de façon étonnante, à travailler pour "son avenir", se présente aux partiels, étudie, vie quasiment une vie ordinaire. Bien sûr sa famille ne peut se douter de rien.

Et ce n'est pas une version édulcorée de la problématique qui nous occupe ici, puisque Violaine Arsac a adapté le livre éponyme écrit par un bénévole associatif, bénévole qui est le second personnage de cette pièce. Car oui, c'est bien d'une histoire vraie qu'il s'agit.

La force de ce spectacle réside donc dans sa véracité, dans sa mise en scène aussi discrète qu'efficace et bien sûr dans le jeu admirable des deux protagonistes : chacun à un bout d'internet, tapote sur son ordinateur, ce pourrait être pénible et c'est pourtant éblouissant. De cet internet qui amène la facilité pour les prédateurs de trouver des proies et donc facilite la prostitution, sort aussi la profonde humanité de ce François qui tente sans juger de donner de la force à cette jeune fille qui demande de l'aide et est toujours sur le fil du rasoir.

C'est aussi un angle original du parti pris de mise en scène de Violaine Arsac : des ténèbres on peut faire jaillir un peu de lumière. Et les deux comédiens sont poignants, chacun face à ses difficultés, ses doutes, la limite de ses possibilités. Charline Fréri, jeune comédienne lumineuse dans le rôle de Sonia et Aliocha Itovich, comédien sensible, habitué du monde de Violaine Arsac et bien connu des amateurs de théâtres incarne un François tout en nuances.

Une autre force du spectacle c'est qu'à l'heure actuelle, alors qu'on reconnaît enfin la souffrance des femmes, la toxicité réelle d'un patriarcat oppressant, l'opprobre aveugle est jetée sur l'ensemble du genre masculin. Ici, les prédateurs ne sont pas occultés, ce sont les consommateurs de chair fraîche qui tentent la jeune fille modeste et font cet dynamique de l'offre et de la demande qui la réduit à un fantôme. Mais le bénévole, lui, offre une autre vision de l'homme, non prédateur, non paternaliste, aidant neutre. Une autre possibilité.

On se réjouit de voir mis en lumière une masculinité vertueuse. Même si on m'opposera qu'elle n'est pas une généralité, il me semble intéressant de la montrer, de l'opposer au culte du bad boy qui lui, n'est jamais remis en question.

Voilà donc plusieurs raisons d'aller voir "je voudrais arrétée" au delà même de cette réflexion proposée sur la prostitution étudiante. Violaine Arsac, comme toujours, multiplie des regards possibles sur le fléau en s'attachant aux individus. Si elle traite des problèmes, ce qu'elle propose aussi c'est un théâtre fondé sur la mécanique des solutions.

Autant de pistes pour vous donner envie d'aller voir cette pièce pendant le off au théâtre de La Luna. Vous l'aurez compris, je l'ai aimée, donc je la conseille ! 


Adeline Avril




Texte de François Wioland, bénévole du mouvement du nid

Adaptation et Mise en scène de Violaine Arsac

Jeu : Aliocha Itovitch et Charline Fréri

Musique : Stéphane Corbin

Lumières : Amandine Voiron


Réservations : 04 12 29 01 24 

Du 29 juin au 21 juillet  (relâche les 3, 10, 17 juillet)
à 14h40  
Durée: 1h05
LA LUNA  / QUARTIER LUNA 

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