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samedi 13 juillet 2024

Momentos de Valérie Ortiz : Un Pur moment de Grâce

 Momentos

Moments de Grâce 




J'ai vu Momentos au théâtre du Girasole et j'ai la sensation d'être restée en apesanteur durant tout le spectacle. 

Emancipée de la dimension "folklorique" sans pour autant renier la tradition du Flamenco, Valerie Ortiz, a réussi à inventer sa propre signature en acceptant que son spectacle soit traversé de tout ce qui la constitue elle-même. Ainsi on retrouvera dans "Momentos", des moments qui font penser à de la danse classique, des moments contemporains, parfois on se croirait à Broadway.

Cette magie qui lui est propre tient aussi à l'art qu'elle a de s'entourer. Même si sa grâce et sa technique irradient la scène, elle ne monopolise jamais la lumière, ce dont pourtant nul ne se plaindrait.

Place à l'Art

Elle a placé, au contraire, ses musiciens sur une sorte d'estrade et parfois l'un d'eux s'invite pour un duo de chant ou quelques pas. Notons qu'elle est entourée de grands musiciens qui passent allégrement du Flamenco au Jazz ou encore au classique et qu'il s'agisse d'une conversation entre deux guitares ou un solo de batterie, jamais l'harmonie percussive ne se dilue, jamais le grand mouvement des corps qui traverse Momentos ne se perd. Dans ce grand vent de beauté pure, Momentos nous soulève. 

Grace à la scénographie et au travail de la lumière, tantôt nous voilà accrochés aux pieds et aux chevilles qui sont comme un alphabet de poésie autant qu'une partition de pluie vibrante, tantôt au délié des poignets et des mains qui mènent leur chorégraphie propre comme des fleurs qui se déploient.

Enfin, les duos de danse, femme/homme ou homme/ homme sont d'une beauté et d'une originalité que seule une artiste comme Valérie Ortiz peut imaginer. Quand elle y joint les castagnettes on comprend toute la beauté orignelle de ce son si particulier capable de fusionner avec tous les styles de musique, tous les instruments. Les solos de chant sont sensuels et aériens, tantôt à capella tantôt accompagnés. Du début à la fin, c'est une histoire qui se déroule, une chorégraphie qui se déroule sans discours ni annonce. Nous avons fait un voyage dont on aimerait qu'il ne finisse pas encore. On devine qu'il s'agit aussi de dire l'amour sous toutes ses formes.

En standing ovation, on est debout pour remercier. Ce n'est pas du divertissement c'est une sorte de privilège que d'avoir bu à cette source qui renouvelle le corps et l'esprit comme une cérémonie sacrée. On garde en soi un peu de cette énergie qui nous a été offerte.

Adeline AVRIL

Lien vers le site du off


du 3 au 21 juillet  relâche les 8, 15 juillet
19h15  1h25
GIRASOLE (THÉÂTRE DU)
Salle : GIRASOLE (THÉÂTRE DU) 
Public : Tout public à partir de 5 ans

mardi 25 juin 2024

Electre au 21ème siècle

 ATTENTION REPRISE DU COUP DE COEUR OFF 2023


HEUREUX LES ORPHELINS







Que vous soyez férus de mythologie ou bien de théâtre, ou bien que votre scolarité vous ait laissé “de beaux restes”, il est possible que l’histoire d’Electre et de son frère Oreste éveillent quelques souvenirs en vous.

C’est bien à ces deux là que nous avons affaire dans cette pièce, librement adaptée de Giraudoux, qui avait lui même déjà librement adapté le mythe originel. 


Mais il est inutile de réviser avant de venir voir le spectacle, qui vaut par lui même et vous tient en haleine d’un bout à l’autre!


Ainsi, au Royaume d’Argos, transformé en haut lieu de la gastronomie dont le chef et roi s’est donné la mort, nous retrouvons Clytemnestre et ses enfants , à savoir Electre l’affamée de justice et de vengeance et Oreste, son frère qui tente de continuer sa vie dans la politique, grâce aux petits arrangements du language dont il est devenu un expert auprès d’un ministre qui vous rappellera bien des hommes politiques de notre temps. Il est aussi torturé qu’Hamlet et sommé par Electre de venger son père.


L’adaptation proposée par Sébastien Bizeau est d’autant plus intéressante, que ce ne sont pas des détails qui sont actualisés mais les armes mêmes du combat. Quant à la forme, quoi de mieux pour une histoire de vengeance qu’un thriller philosophique? Pour autant, le texte de Giraudoux est adapté mais extrêmement respectueusement transmis, parfois à la lettre près.


Pourquoi la jeune Electre hait sa mère à ce point? Pourquoi ceci est-il une histoire de vengeance, alors qu’il n’y a pas d'ambiguïté sur les raisons du décès du père adoré (Agamemnon pour les intimes….)? S’il n’y a pas d’épée tranchante, comment la vengeance aura-t-elle lieu?

Comme souvent dans les meilleures enquêtes, on s'aperçoit après coup que tous les éléments se sont mis en place dès le début…Alors ouvrez l'œil et ouvrez les oreilles!


Les personnages , gravés dans l’inconscient collectif du théâtre pourraient sembler difficilement compatibles avec notre ère connectée, où les comptes se règlent sur twitter par shitstorm interposée… C’est toute l’intelligence du texte, de sa mise en scène et de son interprétation: les petits arrangements avec les morts et avec les vérités , les histoires familiales révisées, la tromperie, la jalousie, …..Franchement, peut-on dire des passions tristes et de la course au pouvoir que notre soi-disant progrès les a atténués?

L’auteur nous rappelle avec art que les mots sont si puissants qu’ils peuvent à la fois enfanter et tuer. Il y a de purs morceaux d’anthologie dans cette pièce, quand s’entremêle le jargon managérial et la communication politique. On en rit surtout parce que c’est “tellement vrai”, proche de nous, et tellement bien interprété, et pourtant, on pourrait à l’instar d’Electre, le dénoncer quitte à créer le chaos.


Chaque personnage porte sa vérité recomposée, son langage, selon son positionnement sur l’échiquier. Pas un noir, pas un temps mort, et des trouvailles scéniques qui vous arrachent tantôt des larmes tantôt un rire inattendu (voir notamment les personnages du cousin Pilade et ses avatars, en cœur antique un peu particulier, ou celui du ministre, pour lequel Oreste écrit des discours avec son cousin, que l’on sent bien proche du besoin de révélation de la belle Electre.


Le décor est d'une sobriété salutaire, mettant en avant les enjeux, les personnalités, le jeu des comédiens qui irradient littéralement cette histoire et en même temps la font chair et vérité avec et au-delà du verbe. Les quelques objets qui servent la scénographie ont trait à la communication et l’éclairage, autour d’un dispositif de salle d’attente nomade.


Un autre gros atout du spectacle, c’est sa distribution. Oreste et Electre, héros de cette machine infernale en marche, frère et sœur le plus souvent en communication par téléphones interposés, sont incarnés par deux comédiens lumineux et ombrageux à la fois. Electre est servie par l'énergie revendicatrice et habitée par la vengeance de Maou Tulissi , dont le visage pré raphaélique contraste avec la brutalité incandescente du personnage, et à laquelle s’oppose le jeu à la fois sobre et habité de Mathieu Le Goaster qui joue un Oreste  torturé et fidèle à sa sœur sans parvenir tout à fait à hair une mère imparfaite. Un Oreste qui est aussi le maître du jeu car il est le maitre des mots. Sensible dans l’intimité de la famille, presque cynique en situation de travail auprès d’un ministre burlesque, il est le fil de l’histoire et le bras vengeur, l’artisan du dernier événement, que je ne veux pas dévoiler ici.

Cette mère, Clytemnestre, est jouée par Cindy Spath, qui donne à la figure mythique de la mère indigne une épaisseur complexe, sensuelle et troublante, presque aimable. Faut-il la condamner? S’est-elle condamnée elle même? Bien que la pièce nous apprenne rapidement sa maladie puis son coma, lorsque son fantôme revient plaider sa cause auprès d’Oreste et d’Electre, l’incarnation de la comédienne nous met dans un nécessaire inconfort, car là encore c’est bien de langage qu’il s’agit. Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où est-elle allée? A-t-elle joué, vraiment, un rôle dans le suicide de son époux? Avoir un amant est-il vraiment une vilenie méritant punition?


Les autres personnages sont interprétés par deux comédiens véritablement déjantés: Emmanuel Gaury  incarne en effet, tour à tour, dans un vent de folie, Egisthe (amant de Clytemnestre, coupable présumé de la mort du père- Agamemnon, toujours- le Ministre dont Oreste conduit la communication, le médecin qui annonce les mauvaises nouvelles de la santé de Clytemnestre à l'hôpital (les mots, toujours les mots), le prêtre de l’hôpital ….


De même pour le comédien Paul Martin, qui joue le tendre Pilade, cousin de la famille fort proche d’Electre, plaidant pour une parole plus vraie auprès d’Oreste quand il s’agit de repenser les discours du ministre, notamment au sujet du glyphosate (et oui!). Ce n’est pas son seul talent, mais puis-je dévoiler qu’une des scènes les plus folles lui revient, et qu’il pousse ma foi plutôt bien la chansonnette? Tour à tour psychologue lacanien, barman cosmique, porteur de  lumière, attaché parlementaire?… Il est époustouflant.


Bref, cette pièce est un véritable coup de cœur, que vous devez absolument venir voir cet été au théâtre de l’Oriflamme! 



Tous les jours à 16h45 (relâche les mardis)

Théâtre des Gémeaux


Texte et mise en scène Sébastien Bizeau

Avec Cindy Spath, Maou Tulissi, Paul Martin, Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster,

Lumières et vidéo: Thomas Nimsgern

Costumes : Claire Bigot

Attachée de presse : Dominique Lhotte


Crédit photo : Cie Hors du temps



lundi 10 juin 2024

Les Enfants du Diable : Clémence Baron nous touche au coeur par Adeline Avril


 


Les enfants du Diable

Vu au Théâtre de l'Oriflamme

Ecrit par Clémence Baron

MES par Patrick Zard

Avec Clémence Baron et Antoine Cafaro

Au théâtre de l'oriflamme du 3 au 21 juillet à 11h30

Relâche le lundi


Et s'il était possible que les enfants du Diable prennent leur revanche sur la vie ?

Véronica, Mirella et Niki sont nés dans la Roumanie de Ceausescu et ont grandi dans le chaos qui a précédé sa chute. Alors qu’on découvrait notamment les horreurs liées à la prise en charge des enfants en général et à ceux qui n’avaient pas le bon goût d’être absolument fonctionnels selon des normes productivistes et inhumaines.

Trois enfants d’une même fratrie, trois destins, trois tragédies.

Ensemble, c’est trois !

Mirella, personnage central de l’histoire bien qu’elle ne soit pas incarnée, souffrait d’autisme et a été considérée comme irrécupérable, donc elle fut confinée dans un de ces mouroirs de l’époque, sans amour et sans hygiène et elle y a contracté le VIH.


Niki est resté en Roumanie, espérant récupérer la garde de Mirella dès que possible.

Veronica, elle, a été adoptée à dix ans par une famille française. Celle-ci pouvait accueillir Niki, mais pas Mirella.

Pour Niki, “ensemble” c’est trois ! Veronica est donc partie seule, à 10 ans, elle a choisi la vie.

De loin, son grand frère a suivi la carrière de chanteuse de Veronica, elle qui a continué de grandir dans l’amour parental de ses nouveaux parents français. Tout semble lui sourire, il se dit qu’elle les a oubliés, lui et Mirella.

Pourtant Veronica ne se remet pas de ce choix qu’elle a fait à dix ans, de ce sentiment d’avoir abandonné son frère et sa sœur Mirela. Son paradis n’est que de façade. Elle ne se remet pas non plus du fait que Niki ait refusé de venir avec elle. Il a en quelque sorte choisi Mirela dans ses yeux d’enfant. Quant à Niki, il en veut à la terre entière et son amour pour Veronica est entaché d’amertume. Alors qu’il a pu avoir enfin la garde de Mirella jusqu’au décès de celle-ci, il continue de parler à son fauteuil vide et il lui raconte ce qu’il sait du passé, du présent, il ne parle pas d’avenir. Il lui raconte ce qu’il sait de la carrière de chanteuse de Veronica, il est toujours acide et blessé.

C’est dans un moment de “dialogue” avec cette chaise vide, que nous retrouvons Niki, vivant la vie comme elle vient dans son pays d’origine.

Un jour, alors qu’il rentre chez lui, Veronica en personne se tient en face de lui, enceinte jusqu’aux yeux.

Vous vous doutez bien que ces retrouvailles tardives ne seront pas de tout repos. 


Clémence Baron, par cette pièce, témoigne pour sa sœur Mirella, autiste, qui, elle est heureusement toujours parmi nous. Elle se saisit de ce pan d'histoire dont personne n'est sorti grandi pour célébrer la pulsion de vie des victimes de la dictature. Elle célèbre la différence comme elle sait si bien le faire, sous différentes formes.

Elle nous offre un face à face singulier entre survivants. Car il y a tant de manières de survivre à l'inconcevable ! Au lieu de se perdre en discours historiques le beau duo tantôt antagoniste tantôt symbiotique qu'elle forme avec Antoine Cafaro nous donne à voir la complexité des destins et les différentes histoires que chacun peut se raconter pour faire face et avancer. Ce grand frère qui a pris à cœur des responsabilités quasiment parentales avec la plus fragile de la fratrie et cette enfant de 10 ans qui a choisi, intuitivement, la vie, sans comprendre pourquoi le grand frère ne la suivait pas en France.

Niki a cru être le seul à souffrir, s'abîmant dans l'aigreur de l'abandon. Saisira-t-il la main tendue par Veronica ? Sera-t-il encore capable de choisir la vie, l'amour qu'elle lui propose, malgré ses blessures ?

Les deux comédiens se complètent bien, chacun amenant son énergie propre. Antoine Cafaro , quasiment hiératique, enfermé dans sa boucle temporelle, ses rituels mémoriels, sa relation fantomatique avec Mirella et Clémence Baron, brulante, portant la vie et torturée mais rendue capable d'espoir. Le frère et la sœur sont deux forces qui s'affrontent, se vampirisent d'abord puis se nourrissent. Mirella veille peut-être sur ces deux là avec son bon sens tout singulier.

On sort touchés au cœur.

La mise en scène de Patrick Zard, centrée sur les ressentis complexes de personnages, ne les encombre pas d'écueils inutiles. Quelques accessoires symboliques font apparaître en creux Mirella l'absente, à la fois pierre de discorde et ciment fraternel. La lumière intimiste nous rappelle sans misérabilisme que nous assistons ici à un chemin de résurrection en somme, dans la pâle lueur d'un monde qui renaît lentement. C'est un long chemin qui mène de l'ombre à la lumière quand on a pris l'habitude de se cacher. Veronica, par son chant, va-t-elle rendre Niki à sa vie ?

Je vous encourage à venir partager ce chemin vers la lumière, un bel hommage à l'amour fraternel. Un rappel de l'histoire contemporaine à travers les oubliés des manuels, ceux qui sont pourtant de vrais héros.


Adeline Avril


Crédit photo : Philippe Hanula




https://billetterie-oriflamme.mapado.com/



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