Les enfants du Diable
Vu au Théâtre de l'Oriflamme
Ecrit par Clémence Baron
MES par Patrick Zard
Avec Clémence Baron et Antoine Cafaro
Au théâtre de l'oriflamme du 3 au 21 juillet à 11h30
Relâche le lundi
Véronica, Mirella et Niki sont nés dans la Roumanie de Ceausescu et ont grandi dans le chaos qui a précédé sa chute. Alors qu’on découvrait notamment les horreurs liées à la prise en charge des enfants en général et à ceux qui n’avaient pas le bon goût d’être absolument fonctionnels selon des normes productivistes et inhumaines.
Trois enfants d’une même fratrie, trois destins, trois tragédies.
Ensemble, c’est trois !
Mirella, personnage central de l’histoire bien qu’elle ne soit pas incarnée, souffrait d’autisme et a été considérée comme irrécupérable, donc elle fut confinée dans un de ces mouroirs de l’époque, sans amour et sans hygiène et elle y a contracté le VIH.
Niki est resté en Roumanie, espérant récupérer la garde de Mirella dès que possible.
Veronica, elle, a été adoptée à dix ans par une famille française. Celle-ci pouvait accueillir Niki, mais pas Mirella.
Pour Niki, “ensemble” c’est trois ! Veronica est donc partie seule, à 10 ans, elle a choisi la vie.
De loin, son grand frère a suivi la carrière de chanteuse de Veronica, elle qui a continué de grandir dans l’amour parental de ses nouveaux parents français. Tout semble lui sourire, il se dit qu’elle les a oubliés, lui et Mirella.
Pourtant Veronica ne se remet pas de ce choix qu’elle a fait à dix ans, de ce sentiment d’avoir abandonné son frère et sa sœur Mirela. Son paradis n’est que de façade. Elle ne se remet pas non plus du fait que Niki ait refusé de venir avec elle. Il a en quelque sorte choisi Mirela dans ses yeux d’enfant. Quant à Niki, il en veut à la terre entière et son amour pour Veronica est entaché d’amertume. Alors qu’il a pu avoir enfin la garde de Mirella jusqu’au décès de celle-ci, il continue de parler à son fauteuil vide et il lui raconte ce qu’il sait du passé, du présent, il ne parle pas d’avenir. Il lui raconte ce qu’il sait de la carrière de chanteuse de Veronica, il est toujours acide et blessé.
C’est dans un moment de “dialogue” avec cette chaise vide, que nous retrouvons Niki, vivant la vie comme elle vient dans son pays d’origine.
Un jour, alors qu’il rentre chez lui, Veronica en personne se tient en face de lui, enceinte jusqu’aux yeux.
Vous vous doutez bien que ces retrouvailles tardives ne seront pas de tout repos.
Clémence Baron, par cette pièce, témoigne pour sa sœur Mirella, autiste, qui, elle est heureusement toujours parmi nous. Elle se saisit de ce pan d'histoire dont personne n'est sorti grandi pour célébrer la pulsion de vie des victimes de la dictature. Elle célèbre la différence comme elle sait si bien le faire, sous différentes formes.
Elle nous offre un face à face singulier entre survivants. Car il y a tant de manières de survivre à l'inconcevable ! Au lieu de se perdre en discours historiques le beau duo tantôt antagoniste tantôt symbiotique qu'elle forme avec Antoine Cafaro nous donne à voir la complexité des destins et les différentes histoires que chacun peut se raconter pour faire face et avancer. Ce grand frère qui a pris à cœur des responsabilités quasiment parentales avec la plus fragile de la fratrie et cette enfant de 10 ans qui a choisi, intuitivement, la vie, sans comprendre pourquoi le grand frère ne la suivait pas en France.
Niki a cru être le seul à souffrir, s'abîmant dans l'aigreur de l'abandon. Saisira-t-il la main tendue par Veronica ? Sera-t-il encore capable de choisir la vie, l'amour qu'elle lui propose, malgré ses blessures ?
Les deux comédiens se complètent bien, chacun amenant son énergie propre. Antoine Cafaro , quasiment hiératique, enfermé dans sa boucle temporelle, ses rituels mémoriels, sa relation fantomatique avec Mirella et Clémence Baron, brulante, portant la vie et torturée mais rendue capable d'espoir. Le frère et la sœur sont deux forces qui s'affrontent, se vampirisent d'abord puis se nourrissent. Mirella veille peut-être sur ces deux là avec son bon sens tout singulier.
On sort touchés au cœur.
La mise en scène de Patrick Zard, centrée sur les ressentis complexes de personnages, ne les encombre pas d'écueils inutiles. Quelques accessoires symboliques font apparaître en creux Mirella l'absente, à la fois pierre de discorde et ciment fraternel. La lumière intimiste nous rappelle sans misérabilisme que nous assistons ici à un chemin de résurrection en somme, dans la pâle lueur d'un monde qui renaît lentement. C'est un long chemin qui mène de l'ombre à la lumière quand on a pris l'habitude de se cacher. Veronica, par son chant, va-t-elle rendre Niki à sa vie ?
Je vous encourage à venir partager ce chemin vers la lumière, un bel hommage à l'amour fraternel. Un rappel de l'histoire contemporaine à travers les oubliés des manuels, ceux qui sont pourtant de vrais héros.
Adeline Avril
Crédit photo : Philippe Hanula
https://billetterie-oriflamme.mapado.com/
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