Avançant en âge, je me prépare doucement à faire partie de la silver economy, cette branche incertaine et floue allant du slip anti-fuites aux couches pour adultes, des traitements naturels contre les effets secondaires de la ménopause aux diverses formes de la molécule connue sous le nom de viagra. Bref, du jeune vieux récemment baptisé Nold (jamais vieux mais plus jeune) par des marketers avisés au grabataire jovial, en passant par la Iris Apfeld du coin, la nouvelle Brigitte Bardot (plutôt Winona Ryder ou Béatrice Dalle pour nous) de l'ehpad ou l'intraitable retraité.e, autant que la pauvre vieille du futur, obligée de faire des ménages malgré son arthrose, ou de voyager pour fuir l'ennui et trouver un amant lisse et vigoureux dans des contrées qui ont faim... de passeport autant que de pain. Je n'aurai pas les moyen de faire installer un stana dans mon appartement de location, cela tombe bien, j'habite au rez-dechaussée.
Je suis du genre prévoyante. Normal, je suis atteinte d'un handicap physique peu visible depuis que j'ai quarante ans. Le nombre de marches, l'accès à la boite aux lettres, cela fait un moment que je me préoccupe de ce genre de détails. Et cela ne va pas s'arranger.
Chez les pré-seniors qui ont la chance d'avoir encore "la santé", et les séniors la compétition est rude. C'est à celui ou celle qui marche le plus vite en balade nordique avec deux batons de ski dans la garrigue. A celui qui a su garder une bonne mutuelle et fait tous les examens imposés pour éviter les catastrophes. A celui qui a de belles facettes d'un blanc éclairant la nuit. Je ne gagnerai pas cette compétition là, les hôpitaux public ressemblent à des dispensaires d'autrefois, les maladies nosocomiales pullulent et régulent les dépenses de sécurité sociale. Mon frère, mon père, ma mère et nombre d'amis en ont fait les frais. Soleil vert est une hérésie. Qui mangerait du vieillard avarié ?
On aurait de nouveaux problèmes de prion. Il vaut mieux manger des bébés et si ce n'était cette fichue silver économie, sans doute qu'au nom de la dignité humaine, on me terminerait avec plaisir "pour mon bien et ma dignité" avant que je devienne acariâtre et trop couteuse. Par chance le libéralisme débridé sait faire faire de l'argent au manque d'argent, qu'il s'agisse d'agios ou de biens d'absolue innécessité que nous consommerons pour rester sur le manège enchanteur de la société moderne selon l'esthétique existentielle de la walt disney Company. Dentiers jetables peu chers ? Perruques chic? Flouteurs dignes de la cape d'invisibilité de Harry potter, strip-tease pour les vieux ? Gigolos remboursés par certaines mutuelles, peut-être même la CMU? Faux seins jetables, reins d'appoint recyclables ? Tant qu'on est bon consommant on nous tolère. J'espère que de nouveaux antidouleurs apparaitrons sur le marché libre, des produits qui ne niquent pas le foie, ou bien une amnistie "drogue dure pour les seniors" ( un "contrat social" de type : à partir de 60 ans, mettez vous ce que vous voulez dans le nez, mais ne prenez plus le volant, par exemple).
Les défilés de mode avec des grabataires pousseront les papys et mamies à dépenser leurs maigres retraites en bling pour défiler. Des stickers "Rock is not dead" pour les déambulateurs, des ateliers "je décore mon fauteuil roulant et ma canne", des ateliers d'écriture "ma hanche mon avenir". Le tout sous LSD.
Lieu "bien-être" façon snozelen en plus psychédélique, partouzes récréatives "l'orgasme c'est la santé". Je suis sûre qu'il y a des tas de choses à inventer pour maintenir les seniors de demain (mes copines et moi) en simili-forme pour qu'ils et elles continuent de consommer du services payant et du loisir, autant que des fringues, du make-up, de la malbouffe, des assurances pour assurer les assurances. Des restaus "tout purée-tout compote". J'ai une tonne d'idées...
Etant comme je vous l'ai dit un parasite culturel, cette courbe qui m'amène vers l'inexorable décrépitude élégante des gens qui n'auront bientôt plus besoin de faire semblant d'avoir les cheveux blancs de façon naturelle représente un atout certain pour les engins de ma sorte. En effet, Avignon, terre de théatrogénie, est le paradis des vieux et vieilles diplômé.e.s. Les théâtres auraient déjà fermé sans les baby-boomers passionnés de culture et l'urgence de trouver rapidement un public de remplacement se fait sentir. Moi, quinqua, je suis une alternative, je représente la transition. Ce n'est une bonne nouvelle pour personne.....Je serai âgée de 70 ou 80 ans d'ici qu'une nouvelle fournée susceptible de s'installer sur des fauteuils en velours rouges ou des escaliers casse-dos et autres strapontins. Car si nos amis baby boomers ont il est vrai la peau dure, et c'est tant mieux, ne rêvons pas, à part quelques transhumanistes qui auront eu l'intuition de se transférer dans un disque dur à roulettes, à un moment ou un autre, il va falloir leur dire Adieu.
Pour l'instant il faut bien le dire, beaucoup sont fringants et plus actifs que moi, mais pour ce qui est d'un public jeune, j'ignore où le trouver. Les jeunes sont nombreux sur scène et dans les écoles d'art toutes disciplines confondues, c'est déjà ça, mais dans les salles, sur les fauteuils, malgré le pass culture, le meilleur moyen de les amener au spectacle c'est encore de les payer ou de les obliger en imposant via l'éducation nationale, des séances "scolaires". Est-ce que ça va suffire ?
Pour le In, je ne suis pas inquiète, y être vu est un marqueur social, c'est un peu le Courchevel sans neige, mais pour le off, c'est plus complexe. On y va de son plein gré, il n'y a pas de motivation extrinsèque absolument évidente. Quand vous rentrez du festival off, c'est moins facile de faire des soirée vidéos de vos vacances que si vous étiez allés aux Seychelles ou même en Tunisie via Carrefour Voyage (à crédit en plusieurs fois avec la carte fidélité). Je vois bien que nombre de nos baby boomers cultureux cumulent les handicaps : voyageurs invétérés et bénéficiant du fameux prix senior défiant toute concurrence, retraite pré-macronienne etc, dont nous les vieux de demain, nous ne bénéficierons pas. Il nous faudra donc des motivations nouvelles pour venir au théâtre : ma préférée c'est la clim pendant la canicule (tant que c'est permis), je suis déjà accro!
Il y a plusieurs problèmes à régler, remarquez, même pour la transition opérée par les Nold : nous sommes plus fragiles que les Baby Boomers, plus dépressifs (les chiffres sont sans appel), et certains d'entre nous n'ont pas le poids financier équivalent à leur poids corporel. Rester cassé en deux sur des bancs pourris pendant deux heures, normalement c'est un truc de jeunes ! Ben, non, au festival off, c'est un loisir de retraités !
Je ne vois qu'une solution, arrêter de vieillir, devenir immortels, ou démocratiser l'acharnement thérapeutique : mamie est sur un lit à roulette, les yeux fermés ? Et alors, c'est son droit de venir au théâtre quand même ! L'accessibilité est un boulevard qu'il faut emprunter et développer. Inclusion j'élargis ton nom...
Offrir des places de théâtre aux enfants à noël : si tu savais écrire une phrase sans fautes, je t'aurais offert des Nike ou un drone, petit con!
Parce que nous les Nolds, c'est sur, on va craquer, on va finir par aller courir tous nus dans la campagne en faisant des bruits de kangourous ! Entre 2 générations de narcissiques qui ont tout compris à la vie, les Nold ont beau continuer d'aller pogoter quand ils peuvent et porter des Doc Martens, ce sont quand même eux qui torchent les BB Alzheimer et ce sont aussi eux qui se tapent les caprices de leurs joyeux bambins moitié Iphone moitié hamburger végan. Notre génération n'est pas une valeur sûre. Ce n'est pas une génération sur laquelle il faut miser, elle ne va pas faire long feu.
Ratiboisée à la racine par les années SIDA elle partait déjà mal, sans parler de Tchernobyl, mais voilà qu'en plus elle a croisé le mouvement des Rave et elle a le sens aigu de la fête, le coude agile, la dépression dans le sang. Comparons les rockers : les rolling stones ont la pêche, les tenants du rock des Nold, les grunges, sont quasi tous morts ou agonisants : c'est mathématique, on ne tient pas la route ! Pour la silver economy, il va falloir faire un plan drastique, nous faire cloner ou que sais-je !
Drogués, on l'est déjà : aux antidépresseurs, aux anti-douleurs, sans parler du shit, de l'herbe, du pinard, du sexe, des écrans, j'en passe et des meilleurs !
Pour les idoles des nouveaux jeunes, le prognostic vital est déjà engagé : quand on en regarde certains, on se demande si le pouls bat encore. En tous cas question activité cérébrale le constat reste incertain...Faut voir.
Bref, nous les vieux de demain, on lit Gen War et on se marre mais sortie des BD on a peu à manger alors on picore un coup dans la gamelle des jeunes un coup dans la gamelle des vrais vieux légitimes ; on porte des New Balance, on essaie de se reconnecter à la campagne, on fait beaucoup de bénévolat pour oublier qu'on n'a plus assez de boulot pour vivre décemment, on évite le oin-oin pas chic pour les ex-fans des nineties, alors on est les champions de la mauvaise humeur et de l'impolitesse pour compenser, parce que "y'a pas écrit la poste" (référence générationnelle) et que nous, on a vraiment vu jouer sur scène un humoriste qui faisait des blagues sur son propre cancer, alors l'humour "caustique" de France Inter ça nous fait plus rien, on est complètement désensibilisés. On voudrait ben mais on peut point...
J'arrête ici mon mauvais esprit et mes jérémiades. Je suis inquiète pour le théâtre : quels culs vont s'asseoir sur les sièges en velours et les chaises en plastiques si nous, les vieux de demain, on n'y va pas ?
Ah Ah
Conseil, lire Gen War et écouter l'excellente interview de Mo CDM par Pierre AVRIL sur RAJE www.raje.fr
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