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jeudi 4 juillet 2024

Le Menteur

 Le menteur, Corneille revisité et revigoré par Marion Bierry

Vu au théâtre du Girasole /crédit photo : Le Girasole

Dorante n'est pas dom juan, mais son petit coeur s'enflamme rapidement. Sa capacité à réver tout haut et conter des sornettes afin de se sortir de situations difficiles mais aussi d'enjoliver son existence quelque peu oisive ne cesse d'angoisser son suivant et chaperon Cliton. Celui-ci n'en revient pas des facilités qu'a son jeune maître à faire d'un bouillon des agapes royales. Sortant d'études à Poitiers, il s'invente un retour de militaire afin d'augmenter son panache avec un certain pragmatisme : c'est plus facile pour séduire, n'est-ce pas ?

Dorante ne ment pas par omission, il ment "en grand, par goût" et provoque un enchevêtrement de situations qui ne l'inquiètent guère.

Ce n'est pas son soucis du prochain qui l'étouffe.

Promis à Clarisse, il s'entiche d'une inconnue nommée Lucrèce qui elle-même se joue de lui. De quiproquo en quiproquo, de fables en fables se tisse un virevoltant jeu de couples dans lequel l'amoureux authentiquement attaché à Clarisse - bien qu'il ne soit que son "second choix" -  joue les victimes éconduites et captives des chimères bien ficelée de son ami Dorante, qu'il pense d'abord son rival. 

Mais Dorante ignore que sa bien-aimée Lucrèce est la meilleure amie de Clarisse, qu'elles aussi sont à la fois rivales et cousues d'amitié. C'est du Corneille, c'est en vers et ça chante à l'oreille comme tinte un ruisseau  véloce et frais. Le père de Dorante, pressé d'être grand père et de marier son fils qu'il a choyé à l'excès, se voit lui aussi tourné en bourrique par ce rejeton malicieux autant que sur de son fait. En effet, grisé par sa propre faconde, croyant dur à la naïveté des gens qu'il prend pour des poupées, Dorante ne doute jamais de lui même quand un trou de mémoire le met en difficulté dévoilant sa forfaiture.

Comme je le disais c'est du Corneille et ça chante. Les rimes ne sont jamais avalées car il ne s'agit pas dans cette version de la jouer "contemporain" mais bien au contraire d'accuser le trait et d'insister sur les diphtongues désuettes qui deviennent des motifs humoristiques et sonnent une musique rythmée. Col-la-ti-on...

Mais en plus, ça chante "pour de vrai". La voix de stentor d'Alexandre Bierry fait merveille autant que son interprétation aussi expressive que gestuelle. La distribution est une veritable dentelle   haute couture , qu'il s'agisse des deux personnages féminins, jouant quasiment la gémélléité autant que la compétition amoureuse façon "m'aime-t-il ou t'aime-t-il?". Le valet Cliton, voix de la vérité, et sans doute aussi de la sagesse bien qu'il ne manque pas de gauloiserie est extraordinaire de naturel, de même que le comédien qui interprète le père naïf et "papa poule".

Tout ceci virevolte avec une drôlerie qui confine à la virtuosité. Les comédiens, tantôt jouant les masques, maquillés comme des poupées, tantôt les silhouettes, tournoyant et s'arrêtant sur image dans une gestuelle extrêment drôle et stylisée, jouant du trois quart face complice du 4ème mur, sont d'une agilité fabuleuse. 

La scénographie elle-même joue entre tradition et modernité. Au fond, un ciel d'un bleu de beau temps se prête à toutes les saisons et les heures du jour selon les actes et l'on y voit projetées les ombres chinoises des personnages, ce qui est du plus bel effet, donnant à la mise en scène un côté surréaliste, graphique, pictural, merveilleux.

C'est une pièce de théâtre faite pour les bons vivants, les gourmands en toute choses. Je ne dévoilerai pas les astuces des épisodes musicaux à la fois fidèles à l'ambiance et anachroniques à souhait ! Avec deux grand volets pliables comme des paravents, nous voyons deux maisons dont les toits deviennent des terrasses et la jonction une sorte de boulevard ou les épisodes élyptiques se déploient. Parfois, ces pans deviennent un mur sur lequel sont exposés les personnages à travers des fenêtres qui sont autant de tableaux où s'affichent les personnages.

C'est à la fois un ballet élégant où chaque texture à sa couleur, chaque personnage sa rutilance ou sa pudique sobriété, son pas de danse sur de petites sellettes qui les présentent  comme des oeuvres d'art, les personnages qu'ils sont, puisqu'ils sont ainsi présentés dans cette farce.

Reste que le propos bien qu'écrit dans cette langue leste, croustillante, apparaît dans tout l'éclat d'une universalité évidente : qu'est-ce que ce menteur, qu'est-ce que son mensonge ? Une facilité pour manipuler les autres, un art d'agrémenter la vie qui sans cela serait bien fade ? Quelle morale trouver à cette fable ? Le menteur est bien sympathique toutefois bien qu'on lui souhaite de trouver l'amour qui le guérira de ses mauvaises manies et la leçon qui le fera grandir et passer d'enfant gâté à homme de responsabilité.

Un très beau spectacle, qui a emballé la salle pleine et soulevé un choeur d'applaudissements sans retenue. Du plaisir, de l'esprit, de la culture, du rire et de la joie. Merci Corneille, Merci Marion Bierry. Nous souhaitons à nos amis, qu'ils goûtent de ce flacon là !

Pour tout âge et toute sensibilité, un régal.

Adeline Avril

Genre : Classique

Horaire:11H45

Durée: 1H30

Distribution : Alexandre BIERRY,  Benjamin BOYER,  Brice HILLAIRET,  Marion LAHMER,  Serge NOEL,  Mathilde RIEY ou Maud FORGET

Mise en scène : Marion BIERRY

Assistant mise en scène : Denis LEMAITRE

Décor : Nicolas SIRE

Adaptation : Marion BIERRY

Costumes : Virginie HOUDINIERE,  Virginie H.

Création lumière : Laurent CASTAINGT

Infos et réservations

Guichet : 24 bis, rue Guillaume Puy 84000 Avignon
Tél. location : 04 90 82 74 42

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