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lundi 21 juillet 2025

Monstres : Une déflagration nécessaire

Monstres d'Elisa Sitbon-Kendall

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Elisa Sitbon Kendall  a réussi le tour de force de rendre intelligible et théâtral un concept complexe des sciences humaines devenu clivant à tort ou à raison. Il s'agit pour elle, à partir du cas très parlant de la situation aussi privée qu'intellectuelle du couple Schwarz-Bart.


Comment aborder l'appropriation culturelle au théâtre ?

En mettant à hauteur d'individu les problèmes posés par l'appropriation culturelle, en découpant la dramaturgie en 4 personnalités distinctes relevant de problématiques complexes et de préoccupations affectives diverses, elle démontre la difficulté d'échapper à la fois au problème posé par le post-colonialisme et aux conflitx issux de la difficulté de se comprendre soi-même et donc d'entendre les autres dans leur entièreté.

Quatre personnages en quête d'identité tentent de créer une œuvre alors que le rapport à ce qui amène à composer celle-cine revêt pas la même signification pour chacun. 4 acteurs qui sont aussi en quête de leur propre personnage.

Angèle, belle fille, jeune première et métisse, a fait connaître une œuvre (la favorite de son père), à son ami Noé qui s'en est entiché cependant qu'en rien il n'est lié au problème du racisme qui est le sujet du livre. Il s'agit en effet de mettre en scène l'impossibilité pour un couple noir/métisse de se marier (cela se passe dans le passé, en Haïti). Amédée joue le rôle de l'amoureux empêché, le "vrai noir" et s'il admire autant Noé qu'Angèle, il est le premier à voir avec lucidité que le fait que ce projet théâtral peut se retourner contre eux car Noé est blanc. Amédée ne fait pas l'autruche, il est pragmatique, il pense que la réussite seule, le succès, lui donneront la légitimité nécessaire de porter le combat qu'Angèle veut déjà affronter avant même que le travail prenne de l'ampleur. Quand à la quatrième, Sarah, elle, aurait préféré de loin que leur premier projet ensemble soit une pièce de boulevard, un truc qui fait rêver les gens. Elle est elle même d'origine ashkénaze, sa grand mère parle toujours Yiddish et espère qu'elle portera le lourd fardeau de la shoah. Sarah a pourtant choisi ce métier pour n'être pas seulement elle-même, coincée dans son identité. Alors qu'elle même n'a que le rôle d'un oiseau dans la pièce que rêve Noé, elle s'agace de ce qu'Angèle, rôle principal, politise le débat. Noé, qui prétend être l'homme blanc qui n'a le droit de rien faire et se projette en réalité dans le rôle qu'il donne à Angèle, a pourtant lui aussi des démêlés avec son identité, pensant qu'il doit choisir entre homo ou hétéro alors qu'il ne sait pas.

On se demande parfois s'il s'agit de combattre ou de s'enfermer dans des critères identitaires réducteurs.

Nous n'aurons aucune réponse à nos questions. Car Monstres est une œuvre d'art qui profite d'un sujet complexe pour aller encore plus loin dans son exploration de la recherche des possibilités que l'être a d'échapper au corps à corps. Tout part de discussions mais rapidement, à travers de fabuleuses scènes de danse et d'arrêts sur images, on en arrive aux corps qui s'entrechoquent à travers les idées.

Si elle parle de la légitimité de créer, et à partir de quoi, Elisa Sitbon-Kendall nous parle aussi du monde tel qu'il est, notamment à travers ces miroirs sur la scène, qui renvoient à tous des images sublimes, kaléidoscopiques mais toujours floues, ambiguës.

On parle de théâtre, oui, mais aujourd'hui, à travers la pratique de la mise en scène de soi, à partir de quelques critères seulement, nous pouvons tous nous sentir concerné et nous poser la question insoluble et philosophique de la définition de l'identité.

Ces 4 jeunes comédiens, tous d'une certaine manière, appartiennent à une minorité, celle-ci va-t-elle les définir éternellement, la souffrance fait-elle le talent, qui de la jeune caribéenne n'ayant jamais parlé créole, qui de l'haïtien que sa mère ne veut pas reconnaître, qui de la jeune ashkénaze sommée de perpétuer la mémoire, qui du jeune homme LGBT est légitime de créer quoi ?

Elisa Sitbon-Kendall nous livre un travail remarquable qui s'est densifié depuis Avignon 2024. Elle a trouvé un équilibre entre ses quatre protagonistes et leurs fantômes et déployé une maïeutique autant parlée que dansée. Dans la beauté du chaos qui finit, on a des frissons, de la compassion, on pense et on a saisi les enjeux d'un concept que certains auraient rendu pénible.

C'est un chaos lumineux, exemplaire, qui nous renvoie à notre humanité/Pharmakon : une humanité qui sauve et qui détruit.

Remarques : En 2024, Monstres était pour la première fois montré au festival off dans la même salle.

Depuis, la pièce a subi des modification qui en rien n'altèrent le sens ni les intentions. Cependant l'ensemble à gagné en puissance, en humour, en densité et tout en restant très esthétique et fort reste intelligible et accessible à un plus grand nombre.

Le casting masculin a changé et apporte sa propre richesse, notamment la maturité d'Amédée, le visage torturé de Noé.

Les deux comédiennes, toujours présentes, déjà admirables en 2024 ont développé une présence et une aura sublime, notamment dans leur pleine adhésion au projet, de la tragédie à la danse, de la comédie au vertige et au conflit.

Adeline AVRIL

RAJE/ LE SON DES PLANCHES (émission radiophonique bimensuelle consacrée au théâtre)

Podcast de l'émission consacrée à Elisa Sitbon-Kendall (interview fin juin 2025) sur www.raje.fr

Equipe artistique :

Elisa Sitbon Kendall - Mise en scène
Bonnie Charlès - Interprétation
Olenka Ilunga - Interprétation
Eugène Marcuse - Interprétation
Robert Moundi - Interprétation
Gaspard Gauthier - Création lumière
Lucie Duranteau - Costumes
Bastien Forestier - Scénographie
Tristan Thomas - Régie
Emma Cros (La Strada et Cies) 06.62.08.79.29 I - Diffusion
Lynda Mihoub 06.60.37.36.27 - Presse
du 5 au 26 juillet  relâche les 8, 15, 22 juillet
17h45  1h10

Salle : Salle Tomasi//LA FACTORY 

mercredi 24 juillet 2024

Monstres / Qui est le monstre ? Une déflagration nécessaire !

 Monstres/Dans le chaos du monde et l'incapacité à nous comprendre les uns les autres, qui est le monstre ?

Vu à La Salle Tomasi, La Factory




Une déflagration nécessaire 

Quatre  amis qu'on devine proches, dans la vingtaine, fêtent la fin de leurs études en art dramatique. L'un, Noé, semble opter pour la mise en scène. Ils sont tous passionnés, obsédés même par l'avenir qui  les attend. Ils veulent désormais travailler ensemble. Noé, s'autodésignant leader d'un projet, s'enflamme et rêve sa distribution idéale. Il veut écrire sur simone scwartz-Bart   et son époux, mettre en scène le travail de Simone, même. A priori, ils sont tous partant pour le projet. Cependant, l'obsession de Noé qui veut réaliser sa vision, commence peu à peu à heurter certains membres de l'équipe. A l'Euphorie de la fête, succède le questionnement qu'ils avaient jusqu'ici sans doute ignoré, inconsciemment ou à dessein de maintenir une unité d'opinions et de ressentis présumés gages d'une amitié totale et absolue telle qu'on la vit à 20 ans.

Voilà le moment de faire un détour en résumant la vie et l'oeuvre de Simone Schartz-Bart, née Simone Brumant. Intellectuelle caribéenne née en Guadeloupe, elle fait très jeune une rencontre amoureuse décisive pour son parcours d'écrivaine : elle tombe amoureuse et épouse André Swartz-Bart, juif blanc installé en Guadeloupe ayant été traumatisé et touché dans sa chair par la déportation. Leur premier opus est une oeuvre à quatre mains : Un plat de porc aux bananes vertes. Les deux continueront de travailler ensemble autant que séparément. Simone, notamment, écrira une pièce de théatre titrée Mon Beau Capitaine, dont on peut penser qu'elle est l'oeuvre que Noé désire mettre en scène avec ses amis Amédé et Angèle dans les rôles principaux, alors que sa troisième amie, la turbulante et bouillonnnante Sara se verra attribuer le rôle de l'oiseau conteur.

La distribution semble satisfaire tout le monde. Angèle, française des antilles, tient le rôle titre et Noé ne comprend pas son manque d'enthousiasme. Amédé fait au mieux, essayant de ne froisser personne et la dernière - Sara - se satisfait de ce rôle étrange que Noé lui donne. Au court des répétitions, la question de l'appropriation culturelle va s'imposer, infectieuse, et l'on constatera qu'à partir de quatre désirs de justice, quatre visions de la justesse d'une mise en scène d'une texte écrit par Simone Schartz-Bart, femme noire, par un jeune homme blanc, fait exploser le consensus de surface qui semble lier la troupe, son amitié, sa vision politique de l'art. Le soubassement des dissensions est subtil, individuel et peu dogmatique. Ce choix nous permet de comprendre la subtilité des ressentis que l'on peut balayer un peu vite derrière une notion ou un concept tel que celui d'appropriation culturelle. Ce qui est particulièrement intéressant dans la pièce Monstres c'est que les revendications de chacun arrivent sous la forme d'éclats sentimentaux liés au passé récent des uns et des autres, pas seulement au passé colonial. Ainsi, aucun des personnage ne livre un discours pré-construit, au contraire, chacun se dévoile dans ses étonnements. Angèle questionne son père car elle ne comprend pas pourquoi, dans sa famille, personne ne parlait créole. Amédée n'est pas insensible à la cause noire mais il est surtout torturé par le fait que sa mère, haïtienne, n'ait pas voulu le rencontrer après l'avoir abandonné. Les blessures et les recherches de réponses se confondent parfois, se mélangent si bien que chaque protagoniste a une voix propre qui n'est pas fermée à l'autre et l'isole pourtant dans sa propre pensée, ses propres réflexions et ses blessures. Ainsi Sara n'en parle guère mais elle se sent prise en étau entre la mémoire de sa bubele qui voudrait qu'elle continue de perpétuer le yiddish et son désir d'être mille autres, elle mais pas seulement, c'est justement pour cela qu' elle a voulu devenir commédienne: elle veut jouer jouer, jouer et pas que des rôle de juive, non mais ! Angèle comprend aussi ce point de vue, ce qui la gène c'est qu'elle voudrait peser dans le renversement des forces en présence et la dissolution de la domination culturelle. Elle voudrait être celle qui mettra en scène les mots de Simone Swartz-Bart. Et Noé dans tout ça ? Noé ne sait plus tellement s'il a une valeur intrinsèque, s'il vit par procuration les questionnements ethniques et féministes de Simone où s'il est "quelqu'un, quelque chose", ni homo ni hétéro, à demi breton à demi alsacien. N'a-t-il aucune souffrance historique a revendiquer ? N'est-il rien ni personne, éternellement condamné à ne créer qu'à partir de sa propre matière "autorisée" ?

Bien évidemment rien n'est aussi simpliste dans ce choral d'identités encore meubles et déjà profondément pensantes. Jamais cette complexité n'est gommée au profit d'un motif plus harmonieux, se prétant mieux au théâtre. Les conflits sont internes autant qu'externes et le jeu explosif des comédiens qui habitent leurs personnages de façon remarquable ne se paie pas d'effets faciles. On les voit nus dans leurs bontés comme dans leurs égoïsmes et surtout on pressent déjà tout le poids de leur carrière d'artistes à venir.

Car après tout il s'agit bien de cela, créer. A partir de quoi et comment, qu'elles sont les règles....Y-a-t-il des règles ?

Ce qui m'a particulièrement plu dans le projet de Elisa Sitbon-Kendall c'est l'ouverture du propos et sa façon extrêmement immersive de nous faire participer à la conversation de ces 4 amis. Muets nous sommes, bien sûr, c'est un peu le métier du spectateur, néanmoins nous sommes inclus dans le débat, qu'il s'agisse des tentatives d'apaisement ou des montées hostiles. Le sujet, traité à hauteur d'humain, est à notre portée. La présence de Noé, notamment au début, dans le public, est une invitation à ne pas rester en retrait, selon moi. D'ailleurs nous étions arrivés dans la salle alors que tous les quatre étaient déjà en train de vivre et de féter ce qui aurait du n'être qu'une étape heureuse vers la vie d'adulte mais sera peut-être la fin d'une certaine idée de l'innocence.

De plus la mise en intrigue des destinées croisés n'a pas été inutilement complexifiée afin de coller à une nécessité éthique propre aux sciences humaines qui n'aurait pas eu sa place sur scène. Ainsi, on pourra postuler que les 4 amis, certes ne sont pas tous issus de minorités mais ils sont tous, d'une certaine manière, privilégiés, puisqu'ils ont pu faire une école de théâtre et que désormais, leur projet de vie va tourner sinon autour d'un rêve du moins d'un choix de vie : la création sera leur métier. Ajouter des problématiques certes réalistes mais complexes aurait pu alourdir le propos, le diluer. Ici ce n'est pas le cas. La dimension intime de l'appropriation culturelle, sa définition même restent au centre du sujet, avec ses corollaires directes : quid de l'identité hors du passé et de l'outrage fait aux ancêtres ? Quid du partage des ressources artistiques ? Suis-je mon obsession ou mon obsession est-elle moi ? Les bonnes intentions font-elles une bonne justice ? L'art est-il au dessus...de quoi...de tout ?

Enfin, la variété émotionnelle de l'incarnation d'une jeunesse "éveillée" m'a parue extrêment riche. Ces acteurs dégageant une énergie concentrée mais très différente qui ne correspond pas forcément aux clichés habituellement représentés sert magnifiquement le propos de la pièce.

Je concluerai en essayant de ne pas dévoiler ni le climax ni la fin ouverte, et en rappelant que les tourments de certains protagonistes, dont Noé lui-même, ne sont pas très éloignés des questionnements d' André Scwartz-Bart, qui, lui même, n'était pas considéré comme étant légitime pour évoquer la condition de la femme noire...

Voilà un très bel opus, une tragédie initiatique contemporaine qui dépeint l'enfance de l'art et met en avant des intellectuels qui ne sont entrés à la bibliothèque de France qu'en 1985 et méritent peut-être qu'on leur accorde un certain intérêt. Le parcours de Simone Schartz-bart, plus long, méritait bien de sortir de l'ornière de l'université et d'être mis en lumière.

Si la pièce est programmée près de chez vous, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Quant à moi, j'attends avec impatience la parution du texte, assez subtil pour souffrir une lecture à postériori. Et j'avoue que je me suis attachée à ces personnages au points que j'aimerais bien suivre leurs aventures dans le théâtre du 21ème siècle. Que deviendront-ils, Angèle, Amédée, Sara et Noé ?

Une déflagration théâtrale nécessaire, un récit initiatique qui émeut et bouscule !

Adeline AVRIL

Le son des planches/théâtrogène

Autrice : 

Elisa Sitbon Kendall

Comédien·nes : Bonnie Charlès, Jacques-Joël Delgado, Olenka Ilunga, Kerwan Normant

Régisseur·se : Elise Lebargy

Attaché·e presse : Lynda Mihoub

Chargé·e de diffusion : Yves Ostro, Edith Renard

Metteur·se en scène :  Elisa Sitbon Kendall, Gaïl-Ann Willig



Monstres : Une déflagration nécessaire

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