jeudi 6 juin 2024

Médée La Révoltée

 Médée d’ARES, femme désirante, indéfendable ?

Nouvelle création d'Isabelle KRAUSS

Vu au Théâtre des 3 raisins en sortie de résidence





Médée n'aura-t-elle droit qu'à l’enfer qui échoit aux empoisonneuses et aux meurtrières ?


C’est la question que nous pose ce mythe. C’est aussi la question que nous pose le texte de Jérôme de Leusse, osant y ajouter la somme des questionnements contemporains sur la condition féminine.

Utilisée par un Jason l’argonaute,  cynique ou pétri de sa condition d’être supérieur d’homme, Médée revient sur ce cheminement sensuel plus que moral qui l’a amenée à tuer ses fils. Mais la pièce ne se concentre pas sur cet aspect du mythe. 

Elle revient sur ce crime aussi, bien antérieur, qu’elle a commis par amour et qui l’a fait passer de l’or des héritières à la condition de sous-être, qui l’a amenée à se trouver remplacée dans la couche de celui qu’elle a amené au pouvoir.

L’emprise, la trahison, la violence de Jason, homme tout puissant, sa traitrise magnifiée, son droit de la répudier, son mépris pour ce qu’elle est : une femme.

Le jeu d’Isabelle Krauss, qui s’inscrit dans une continuité de la tragédienne au point qu’on pourrait la comparer à certaines traditions codées japonaises, sert magnifiquement l’atemporalité du mythe et fait exister cette Médée torturée et hors d’elle au sens strict du terme par delà les codes imposées par le théâtre antique ou les grands dramaturges spécialisés dans l’utilisation des mythes à des fins contemporaines.

Médée plaide sa cause. Elle qui fut traitée de sorcière, de magicienne, et vouée aux gémonies avant même de commettre l’ultime et impardonnable infanticide, elle se rebelle contre sa condition de marche-pied, de viande-femme. Dans cette incarnation, elle ne semble rien attendre qu’une révision des conditions de sa condamnation, telle un esclave qui en appelle à réexaminer les conditions qui ont précédée le meurtre de son maître injuste. 

Le décor est surprenant, figurant une matrice aux couleurs diaprées, changeantes, on se trouve dans un nulle part qui n’est pas sans évoquer une sorte de purgatoire. Il y a quelque chose de la science fiction des années 70 dans cette scénographie qui doit beaucoup à la sur-écriture permise par le travail sur la lumière ainsi qu’à la musique entêtante et surnaturelle. De même qu’Isabelle Krauss, au visage couvert d’or a tantôt l’air lumineuse tantôt salie, au gré des jeux d’ombres  et de sa danse au milieu des pans d’une immense tenture, très belle, nous imposant sans violence une vulve géante dont Médée est tantôt la voix tantôt l’avalée.


Comment revisiter le mythe de Médée ?


Le mythe de Médée est un casse tête. Véritable victime de l’homme mais aussi de sa propre sensualité, elle représente aussi l’indéfendable, l’intouchable.

La mère infanticide. L’amoureuse plus que la mère pour être plus précis, puisqu’un mythe ne se “regarde” pas au premier degré. Nous ne sommes pas dans les tabloïds, ou sur les réseaux sociaux, à juger .

Avec ce texte, grâce à cette scénographie et à l’incarnation charnelle d’Isabelle Krauss qui rend parfaitement audible la détresse de Médée d’Arès l’on se rend sur “une autre scène” en tant que spectateur.ices, on questionne l’ensemble des verdicts qui fusent dans le monde à l’encontre des femmes, dont on juge les faits et gestes avec un regard différent de celui qui inspecte le masculin “héroïque”.

Ainsi, ce n’est pas une relecture totale du Mythe de Médée que propose le texte, mais une mise en avant de la trajectoire d’une femme qui résonne comme un réexamen de nos propres à prioris sur celles que l’on a qualifiées un peu vite de sorcières pour pouvoir les brûler sans procès. Et un questionnement sur le sacrifice d’une femme qui s’est pliée au désir de descendance de son “seigneur” alors qu’elle était peut-être faite pour une autre vie. Une femme assignée à sa nature de sous-être et donc peut-être assignée au sang, avec le crime pour tout échappatoire.

Rassurez vous, pas de #jesuismédée, de #pendezla ou autre. Le propos se tisse de façon subtile même s’il rejoint un questionnement contemporain de façon juste et surtout, ce spectacle permet de réintroduire un mythe important dans un registre philosophique et littéraire, sans la lourdeur didactique que l’on pourrait craindre.

Ici, sensualité rime avec élégance.


Musique Pierre-Marie Trilloux

MES Isabelle Krauss

Texte Jérôme de Leusse

Crédit photo : Théâtre des 3 raisins


Malheureusement, ce précieux joyau ne sera pas visible durant ce festival off 2024, il faudra attendre l'année prochaine.


Cette année, vous pourrez cependant retrouver une autre très belle proposition théâtrale dans laquelle Isabelle Krauss incarne avec passion Charles Baudelaire, sa correspondance avec sa mère! Elle est accompagnée d'une pianiste qui elle, Joue du Beethoven.

Retrouvez donc cette pièce, Baudelaire Bethoven, succès deux ans de suite au festival off.



VOICI LE PROGRAMME DU THEATRE DES 3 RAISINS !







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