lundi 17 juin 2024

Rallumer les lucioles

Rallumer les lucioles

Vu au théâtre de l'Optimist




Un ami, c'est quelqu'un qui te connait mais qui t'aime quand même !

Quand on a une enfance hors norme, on grandit comme on peut, on s'arrange avec la réalité et on s'édifie un peu de guingois.

Ce seul en scène nous raconte comment on se débrouille, comment on fait avec une drôle de vie, avec un papa désœuvré qui aime la boutanche, la télévision, mais plus tellement la vraie vie et une maman qui est très belle même en camisole de force ?

A force d'humour, d'imagination et de tendresse, d'efforts pour devenir "normale" et même "super normale", "la plus normale", alors qu'on ne sait pas trop ce que c'est, en fait ,"normale", on arrive à faire semblant. Très bien. Et on y croit jusqu'à ce que ça pète ! Il faut beaucoup d'aller-retours pour devenir vraiment soi et accepter ses fêlures. Il faut avoir le sens du détail et du combat pour finir par s'aimer.

En regardant le spectacle, on se laisse gagner par cette façon qu'a le personnage de ne pas se laisser abîmer par le réel et on profite de toutes ses petites astuces pour rallumer les lucioles avec Sandra Fabbri qui réveille en nous la capacité d'imagination que tout adulte se sent obligé de mettre en veilleuse.

On se rappelle que les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel !


Texte et interprétation : Sandra FABBRI

Mise en Scène : Bruno BANON

Théâtre L'Optimist








dimanche 16 juin 2024

Stabilité Temporaire

Stabilité Temporaire

Vu au théâtre de l'Optimist




Qui a dit qu'on ne pouvait pas renouveler la comédie dramatique ? 

Bien évidemment pas les auteurs contemporains, qui rivalisent de créativité pour continuer de nous donner à voir et à penser en contournant les codes, en renouvelant la forme et parfois le fond.

C'est à cette question que répond la pièce de Grégoire Aubert, stabilité temporaire, dont le titre est déjà tout un programme. Il ne manque pas d'audace et c'est sans limites qu'il nous amène dans ce quadrille concassé, désossé, qui ravira les casse-cous théâtrophiles mais aussi les amateurs de théâtre tout simplement. 

Si vous faite partie de ces amoureux de théâtre qui ne vont plus au In parce que vous, vous aimez qu'on vous raconte une histoire et non qu'on vous prenne pour un cobaye (entendu souvent, je ne commente pas je cite), n'ayez crainte, Grégoire Aubert démontre que l'on peut expérimenter en théâtre audible autant qu'en théâtre dit de recherche, pour peu qu'on se méfie des recettes. Il prend le risque de sortir du cadre en chahutant les étapes habituelles de la structure théâtrale, pour autant, il vous raconte une histoire qui a un début et une fin. Une histoire indéfinissable. Ce pourrait être un thriller psychologique, un drame,... Difficile d'apposer une étiquette sur cet OTNI (objet théâtral non identifié) et pourtant les pièces du puzzle s'emboitent peu à peu.

Mais vous devrez pour mériter l'histoire, vous prêter au jeu de l'attention et ne rater aucune miette. Chaque neurone est mobilisé pour suivre ces cinq personnages interprétés par seulement deux acteurs.

Alors, ça parle de quoi, cette pièce ?

Deux hommes et deux femmes, deux couples étaient un soir autour d'une table, se tournant autour les uns des autres... Oui d'accord, mais que s'est-il passé ensuite ? Ensuite, et bien, il y a eu Francis, il y a eu des jeux de séduction, il y a eu un drame, les trahisons, la mort... Chaque personnage nous montre la vie à travers sa propre perception des événements, les plus infimes comme les plus dramatiques. Chacun parle d'amour, et donc des autres mais aussi de ses attentes, déclinant avec maestria sa propre quête de "stabilité temporaire". Un apaisement des tensions de type freudien ? Et s'il s'agissait aussi d'amour, ce drôle de fantôme qui prend parfois des formes inquiétantes ?

La scénographie, très inspirée par le cinéma, s'attache aux personnages d'une façon qui est, là encore, presque perturbante, mettant en valeur les physionomies des acteurs qui changent selon le personnage incarné. Très beau, à la fois clinique et esthétique.

Venez vous faire bousculer par cette pièce qui joue avec vos nerfs et vos sentiments.


Texte : Grégoire AUBERT

Interprétation : Pascale TRONCHE et Grégoire AUBERT

Mise En Scène : Gérard FATTACIOLI

Musique originale : LWADA

Crédit affiche : théâtre de l'Optimist


lundi 10 juin 2024

Les Enfants du Diable : Clémence Baron nous touche au coeur par Adeline Avril


 


Les enfants du Diable

Vu au Théâtre de l'Oriflamme

Ecrit par Clémence Baron

MES par Patrick Zard

Avec Clémence Baron et Antoine Cafaro

Au théâtre de l'oriflamme du 3 au 21 juillet à 11h30

Relâche le lundi


Et s'il était possible que les enfants du Diable prennent leur revanche sur la vie ?

Véronica, Mirella et Niki sont nés dans la Roumanie de Ceausescu et ont grandi dans le chaos qui a précédé sa chute. Alors qu’on découvrait notamment les horreurs liées à la prise en charge des enfants en général et à ceux qui n’avaient pas le bon goût d’être absolument fonctionnels selon des normes productivistes et inhumaines.

Trois enfants d’une même fratrie, trois destins, trois tragédies.

Ensemble, c’est trois !

Mirella, personnage central de l’histoire bien qu’elle ne soit pas incarnée, souffrait d’autisme et a été considérée comme irrécupérable, donc elle fut confinée dans un de ces mouroirs de l’époque, sans amour et sans hygiène et elle y a contracté le VIH.


Niki est resté en Roumanie, espérant récupérer la garde de Mirella dès que possible.

Veronica, elle, a été adoptée à dix ans par une famille française. Celle-ci pouvait accueillir Niki, mais pas Mirella.

Pour Niki, “ensemble” c’est trois ! Veronica est donc partie seule, à 10 ans, elle a choisi la vie.

De loin, son grand frère a suivi la carrière de chanteuse de Veronica, elle qui a continué de grandir dans l’amour parental de ses nouveaux parents français. Tout semble lui sourire, il se dit qu’elle les a oubliés, lui et Mirella.

Pourtant Veronica ne se remet pas de ce choix qu’elle a fait à dix ans, de ce sentiment d’avoir abandonné son frère et sa sœur Mirela. Son paradis n’est que de façade. Elle ne se remet pas non plus du fait que Niki ait refusé de venir avec elle. Il a en quelque sorte choisi Mirela dans ses yeux d’enfant. Quant à Niki, il en veut à la terre entière et son amour pour Veronica est entaché d’amertume. Alors qu’il a pu avoir enfin la garde de Mirella jusqu’au décès de celle-ci, il continue de parler à son fauteuil vide et il lui raconte ce qu’il sait du passé, du présent, il ne parle pas d’avenir. Il lui raconte ce qu’il sait de la carrière de chanteuse de Veronica, il est toujours acide et blessé.

C’est dans un moment de “dialogue” avec cette chaise vide, que nous retrouvons Niki, vivant la vie comme elle vient dans son pays d’origine.

Un jour, alors qu’il rentre chez lui, Veronica en personne se tient en face de lui, enceinte jusqu’aux yeux.

Vous vous doutez bien que ces retrouvailles tardives ne seront pas de tout repos. 


Clémence Baron, par cette pièce, témoigne pour sa sœur Mirella, autiste, qui, elle est heureusement toujours parmi nous. Elle se saisit de ce pan d'histoire dont personne n'est sorti grandi pour célébrer la pulsion de vie des victimes de la dictature. Elle célèbre la différence comme elle sait si bien le faire, sous différentes formes.

Elle nous offre un face à face singulier entre survivants. Car il y a tant de manières de survivre à l'inconcevable ! Au lieu de se perdre en discours historiques le beau duo tantôt antagoniste tantôt symbiotique qu'elle forme avec Antoine Cafaro nous donne à voir la complexité des destins et les différentes histoires que chacun peut se raconter pour faire face et avancer. Ce grand frère qui a pris à cœur des responsabilités quasiment parentales avec la plus fragile de la fratrie et cette enfant de 10 ans qui a choisi, intuitivement, la vie, sans comprendre pourquoi le grand frère ne la suivait pas en France.

Niki a cru être le seul à souffrir, s'abîmant dans l'aigreur de l'abandon. Saisira-t-il la main tendue par Veronica ? Sera-t-il encore capable de choisir la vie, l'amour qu'elle lui propose, malgré ses blessures ?

Les deux comédiens se complètent bien, chacun amenant son énergie propre. Antoine Cafaro , quasiment hiératique, enfermé dans sa boucle temporelle, ses rituels mémoriels, sa relation fantomatique avec Mirella et Clémence Baron, brulante, portant la vie et torturée mais rendue capable d'espoir. Le frère et la sœur sont deux forces qui s'affrontent, se vampirisent d'abord puis se nourrissent. Mirella veille peut-être sur ces deux là avec son bon sens tout singulier.

On sort touchés au cœur.

La mise en scène de Patrick Zard, centrée sur les ressentis complexes de personnages, ne les encombre pas d'écueils inutiles. Quelques accessoires symboliques font apparaître en creux Mirella l'absente, à la fois pierre de discorde et ciment fraternel. La lumière intimiste nous rappelle sans misérabilisme que nous assistons ici à un chemin de résurrection en somme, dans la pâle lueur d'un monde qui renaît lentement. C'est un long chemin qui mène de l'ombre à la lumière quand on a pris l'habitude de se cacher. Veronica, par son chant, va-t-elle rendre Niki à sa vie ?

Je vous encourage à venir partager ce chemin vers la lumière, un bel hommage à l'amour fraternel. Un rappel de l'histoire contemporaine à travers les oubliés des manuels, ceux qui sont pourtant de vrais héros.


Adeline Avril


Crédit photo : Philippe Hanula




https://billetterie-oriflamme.mapado.com/



La prostitution étudiante : une pièce pour comprendre et espérer : J'aimerais Arrêtée par Adeline Avril




Alors qu'elle n'en peut plus, un soir, Sonia recherche de l'aide sur internet. Trouvant le site d'une association dont la mission est d'aider les étudiants et étudiantes à sortir de l'engrenage de la prostitution, elle laisse ce message, comme on lance une bouteille à la mer: "je voudrais arrétée". La faute d'orthographe est aussi vraie que l'histoire de Sonia. Ce qui suit, c'est la relation épistolaire (digitale) qui va se créer entre elle et François, bénévole de cette association, dans le chaos du monde. 

Y-a-t-il encore du sens à rechercher de l'aide, à l'espérer de l'autre un mot qui fait la différence ?

Y-a-t-il encore du sens à aider sans rien attendre en retour qu'une flamme de vie dans l'autre qu'on ne connaît pas et qui sombre ?

J'aime beaucoup le théâtre de Violaine Arsac. Elle aborde des sujets dramatiques et cherche le meilleur angle afin de faire entrer la lumière par les brèches, même lorsqu'elle traite des sujets les plus désespérants. Ici, il s'agit de la prostitution étudiante.

Encore une fois, elle a trouvé le moyen de traiter théâtralement ce sujet de façon inédite, tout en y mettant une pincée d'espoir.

Bien évidemment, on ne verra pas ici un énième Christiane F et c'est sans doute ce qui est perturbant dans la version qui nous est proposée. L'héroïne est bien loin des clichés que l'on a souvent associés à la prostitution : drogue, déchéance physique et psychique, maladie mentale ou autre, et si son incapacité à résister à l'argent "facile" en vendant son corps l'amène souvent au bord du gouffre, lui donnant envie de mourir, elle continue malgré tout, de façon étonnante, à travailler pour "son avenir", se présente aux partiels, étudie, vie quasiment une vie ordinaire. Bien sûr sa famille ne peut se douter de rien.

Et ce n'est pas une version édulcorée de la problématique qui nous occupe ici, puisque Violaine Arsac a adapté le livre éponyme écrit par un bénévole associatif, bénévole qui est le second personnage de cette pièce. Car oui, c'est bien d'une histoire vraie qu'il s'agit.

La force de ce spectacle réside donc dans sa véracité, dans sa mise en scène aussi discrète qu'efficace et bien sûr dans le jeu admirable des deux protagonistes : chacun à un bout d'internet, tapote sur son ordinateur, ce pourrait être pénible et c'est pourtant éblouissant. De cet internet qui amène la facilité pour les prédateurs de trouver des proies et donc facilite la prostitution, sort aussi la profonde humanité de ce François qui tente sans juger de donner de la force à cette jeune fille qui demande de l'aide et est toujours sur le fil du rasoir.

C'est aussi un angle original du parti pris de mise en scène de Violaine Arsac : des ténèbres on peut faire jaillir un peu de lumière. Et les deux comédiens sont poignants, chacun face à ses difficultés, ses doutes, la limite de ses possibilités. Charline Fréri, jeune comédienne lumineuse dans le rôle de Sonia et Aliocha Itovich, comédien sensible, habitué du monde de Violaine Arsac et bien connu des amateurs de théâtres incarne un François tout en nuances.

Une autre force du spectacle c'est qu'à l'heure actuelle, alors qu'on reconnaît enfin la souffrance des femmes, la toxicité réelle d'un patriarcat oppressant, l'opprobre aveugle est jetée sur l'ensemble du genre masculin. Ici, les prédateurs ne sont pas occultés, ce sont les consommateurs de chair fraîche qui tentent la jeune fille modeste et font cet dynamique de l'offre et de la demande qui la réduit à un fantôme. Mais le bénévole, lui, offre une autre vision de l'homme, non prédateur, non paternaliste, aidant neutre. Une autre possibilité.

On se réjouit de voir mis en lumière une masculinité vertueuse. Même si on m'opposera qu'elle n'est pas une généralité, il me semble intéressant de la montrer, de l'opposer au culte du bad boy qui lui, n'est jamais remis en question.

Voilà donc plusieurs raisons d'aller voir "je voudrais arrétée" au delà même de cette réflexion proposée sur la prostitution étudiante. Violaine Arsac, comme toujours, multiplie des regards possibles sur le fléau en s'attachant aux individus. Si elle traite des problèmes, ce qu'elle propose aussi c'est un théâtre fondé sur la mécanique des solutions.

Autant de pistes pour vous donner envie d'aller voir cette pièce pendant le off au théâtre de La Luna. Vous l'aurez compris, je l'ai aimée, donc je la conseille ! 


Adeline Avril




Texte de François Wioland, bénévole du mouvement du nid

Adaptation et Mise en scène de Violaine Arsac

Jeu : Aliocha Itovitch et Charline Fréri

Musique : Stéphane Corbin

Lumières : Amandine Voiron


Réservations : 04 12 29 01 24 

Du 29 juin au 21 juillet  (relâche les 3, 10, 17 juillet)
à 14h40  
Durée: 1h05
LA LUNA  / QUARTIER LUNA 

Triangulaire ou La maîtresse imaginaire, de Yamina Hadjaoui par Adeline Avril

 



Triangulaire , comédie écrite et mise en scène par Yamina Hadjaoui 

Vu au théâtre de la Tache D'Encre à Avignon


Voilà le couple de Tiphaine et Mathieu arrivé à la cinquantaine : les enfants n’ont plus besoin d’eux, le nid est vide, et ce qu’ils ont été ces dernières années , ce qu’ils sont devenus ne leur permet plus de fonctionner dans un monde qui a changé. Un monde dans lequel ils se sentent dépassés, obsolètes. 


L’une a des bouffées de chaleur et quelques sautes d’humeur quand l’un se sent mal aimé, éternel second rôle. Comment redevenir amants après avoir été essentiellement parents ?

Deux, est-ce assez pour retrouver le goût de vivre et de participer au monde, pour se configurer de manière à aimer et désirer ?


Ce fameux troisième "côté" qui manque désormais, par qui ou quoi peut-il être remplacé, ou représenter, de façon à retrouver un équilibre ?

C’est à partir de ce questionnement que l’auteure, fascinée par le couple en tant que sujet théâtral, à bâti une comédie autour du sujet de la cinquantaine, ce moment de crise riche en situations humoristiques et questionnements existentiels.


Bien sûr, Tiphaine et Mathieu vont tâtonner et incidemment trouver un troisième angle susceptible de les revigorer… Mais comment vont-ils s’y prendre, jusqu’où vont-ils aller ?


Une pièce avec canapé dont la scénographie soignée exalte le décalage , ce qui en fait autre chose qu'un marivaudage.

Le décors noir et blanc permet de suivre les personnages sans être encombré par un souci lié aux "accessoires" et plonge les personnages dans un univers simple et élégant qui nous signale immédiatement en entrant l'universalité des propos.

Dans cette mise en scène au service du texte et des comédiens, on suit non seulement l'état d'esprit des personnages, que leurs mots articulés contredisent, mais on plonge aussi dans leur chaos personnel.
Et bien sûr, il y a le soupçon, les égarements, le suspense !

Une comédie bien menée, vraiment drôle. Sans prétention affichée, elle surprend par sa profondeur et une vision juste de la condition humaine vécue à deux et pourtant toujours solitaire.

Une belle surprise pour cette création "spécial off".

Il est à noter que cette année, l'autrice et metteuse en scène Yamina Hadjaoui présente aussi une spectacle pour jeune public au théatre du Rouge Gorge ! Un nom à retenir !



Au théâtre de la tache d'encre, 1 rue de la Tarasque
1h 10
Ecriture et Mise en Scène : Yamina Hadjaoui
Avec Marie-Ange Gil et Julien Joerger
Scénographie et décors: Igor Fernandez
Costumes: Marie-Ange Gil
Tous les jours à 20h
Relâche le 9 et le 18
Réservations : Tel: +33 (0)4 90 85 97 13







jeudi 6 juin 2024

Médée La Révoltée

 Médée d’ARES, femme désirante, indéfendable ?

Nouvelle création d'Isabelle KRAUSS

Vu au Théâtre des 3 raisins en sortie de résidence





Médée n'aura-t-elle droit qu'à l’enfer qui échoit aux empoisonneuses et aux meurtrières ?


C’est la question que nous pose ce mythe. C’est aussi la question que nous pose le texte de Jérôme de Leusse, osant y ajouter la somme des questionnements contemporains sur la condition féminine.

Utilisée par un Jason l’argonaute,  cynique ou pétri de sa condition d’être supérieur d’homme, Médée revient sur ce cheminement sensuel plus que moral qui l’a amenée à tuer ses fils. Mais la pièce ne se concentre pas sur cet aspect du mythe. 

Elle revient sur ce crime aussi, bien antérieur, qu’elle a commis par amour et qui l’a fait passer de l’or des héritières à la condition de sous-être, qui l’a amenée à se trouver remplacée dans la couche de celui qu’elle a amené au pouvoir.

L’emprise, la trahison, la violence de Jason, homme tout puissant, sa traitrise magnifiée, son droit de la répudier, son mépris pour ce qu’elle est : une femme.

Le jeu d’Isabelle Krauss, qui s’inscrit dans une continuité de la tragédienne au point qu’on pourrait la comparer à certaines traditions codées japonaises, sert magnifiquement l’atemporalité du mythe et fait exister cette Médée torturée et hors d’elle au sens strict du terme par delà les codes imposées par le théâtre antique ou les grands dramaturges spécialisés dans l’utilisation des mythes à des fins contemporaines.

Médée plaide sa cause. Elle qui fut traitée de sorcière, de magicienne, et vouée aux gémonies avant même de commettre l’ultime et impardonnable infanticide, elle se rebelle contre sa condition de marche-pied, de viande-femme. Dans cette incarnation, elle ne semble rien attendre qu’une révision des conditions de sa condamnation, telle un esclave qui en appelle à réexaminer les conditions qui ont précédée le meurtre de son maître injuste. 

Le décor est surprenant, figurant une matrice aux couleurs diaprées, changeantes, on se trouve dans un nulle part qui n’est pas sans évoquer une sorte de purgatoire. Il y a quelque chose de la science fiction des années 70 dans cette scénographie qui doit beaucoup à la sur-écriture permise par le travail sur la lumière ainsi qu’à la musique entêtante et surnaturelle. De même qu’Isabelle Krauss, au visage couvert d’or a tantôt l’air lumineuse tantôt salie, au gré des jeux d’ombres  et de sa danse au milieu des pans d’une immense tenture, très belle, nous imposant sans violence une vulve géante dont Médée est tantôt la voix tantôt l’avalée.


Comment revisiter le mythe de Médée ?


Le mythe de Médée est un casse tête. Véritable victime de l’homme mais aussi de sa propre sensualité, elle représente aussi l’indéfendable, l’intouchable.

La mère infanticide. L’amoureuse plus que la mère pour être plus précis, puisqu’un mythe ne se “regarde” pas au premier degré. Nous ne sommes pas dans les tabloïds, ou sur les réseaux sociaux, à juger .

Avec ce texte, grâce à cette scénographie et à l’incarnation charnelle d’Isabelle Krauss qui rend parfaitement audible la détresse de Médée d’Arès l’on se rend sur “une autre scène” en tant que spectateur.ices, on questionne l’ensemble des verdicts qui fusent dans le monde à l’encontre des femmes, dont on juge les faits et gestes avec un regard différent de celui qui inspecte le masculin “héroïque”.

Ainsi, ce n’est pas une relecture totale du Mythe de Médée que propose le texte, mais une mise en avant de la trajectoire d’une femme qui résonne comme un réexamen de nos propres à prioris sur celles que l’on a qualifiées un peu vite de sorcières pour pouvoir les brûler sans procès. Et un questionnement sur le sacrifice d’une femme qui s’est pliée au désir de descendance de son “seigneur” alors qu’elle était peut-être faite pour une autre vie. Une femme assignée à sa nature de sous-être et donc peut-être assignée au sang, avec le crime pour tout échappatoire.

Rassurez vous, pas de #jesuismédée, de #pendezla ou autre. Le propos se tisse de façon subtile même s’il rejoint un questionnement contemporain de façon juste et surtout, ce spectacle permet de réintroduire un mythe important dans un registre philosophique et littéraire, sans la lourdeur didactique que l’on pourrait craindre.

Ici, sensualité rime avec élégance.


Musique Pierre-Marie Trilloux

MES Isabelle Krauss

Texte Jérôme de Leusse

Crédit photo : Théâtre des 3 raisins


Malheureusement, ce précieux joyau ne sera pas visible durant ce festival off 2024, il faudra attendre l'année prochaine.

dimanche 2 juin 2024

Sympathy for La vieille Ville


 Toujours en direct d'Avignon, terre de culture et de bouffe, ville médiévale et minuscule terreau des névroses occidentales (et autres) en tous genres.

Avançant en âge, je me prépare doucement à faire partie de la silver economy, cette branche incertaine et floue allant du slip anti-fuites aux couches pour adultes, des traitements naturels contre les effets secondaires de la ménopause aux diverses formes de la molécule connue sous le nom de viagra. Bref, du jeune vieux récemment baptisé Nold (jamais vieux mais plus jeune) par des marketers avisés au grabataire jovial, en passant par la Iris Apfeld du coin, la nouvelle Brigitte Bardot (plutôt Winona Ryder ou Béatrice Dalle pour nous) de l'ehpad ou l'intraitable retraité.e, autant que la pauvre vieille du futur, obligée de faire des ménages malgré son arthrose, ou de voyager pour fuir l'ennui et trouver un amant lisse et vigoureux dans des contrées qui ont faim... de passeport autant que de pain. Je n'aurai pas les moyen de faire installer un stana dans mon appartement de location, cela tombe bien, j'habite au rez-dechaussée.

Je suis du genre prévoyante. Normal, je suis atteinte d'un handicap physique peu visible depuis que j'ai quarante ans. Le nombre de marches, l'accès à la boite aux lettres, cela fait un moment que je me préoccupe de ce genre de détails. Et cela ne va pas s'arranger.

Chez les pré-seniors qui ont la chance d'avoir encore "la santé", et les séniors la compétition est rude. C'est à celui ou celle qui marche le plus vite en balade nordique avec deux batons de ski dans la garrigue. A celui qui a su garder une bonne mutuelle et fait tous les examens imposés pour éviter les catastrophes. A celui qui a de belles facettes d'un blanc éclairant la nuit.  Je ne gagnerai pas cette compétition là, les hôpitaux public ressemblent à des dispensaires d'autrefois, les maladies nosocomiales pullulent et régulent les dépenses de sécurité sociale. Mon frère, mon père, ma mère et nombre d'amis en ont fait les frais. Soleil vert est une hérésie. Qui mangerait du vieillard avarié ? 

On aurait de nouveaux problèmes de prion. Il vaut mieux manger des bébés et si ce n'était cette fichue silver économie, sans doute qu'au nom de la dignité humaine, on me terminerait avec plaisir "pour mon bien et ma dignité" avant que je devienne acariâtre et trop couteuse. Par chance le libéralisme débridé sait faire faire de l'argent au manque d'argent, qu'il s'agisse d'agios ou de biens d'absolue innécessité que nous consommerons pour rester sur le manège enchanteur de la société moderne selon l'esthétique existentielle de la walt disney Company. Dentiers jetables peu chers ? Perruques chic? Flouteurs dignes de la cape d'invisibilité de Harry potter, strip-tease pour les vieux ? Gigolos remboursés par certaines mutuelles, peut-être même la CMU? Faux seins jetables, reins d'appoint recyclables ? Tant qu'on est bon consommant on nous tolère. J'espère que de nouveaux antidouleurs apparaitrons sur le marché libre, des produits qui ne niquent pas le foie, ou bien une amnistie "drogue dure pour les seniors" ( un "contrat social" de type : à partir de 60 ans, mettez vous ce que vous voulez dans le nez, mais ne prenez plus le volant, par exemple).

Les défilés de mode avec des grabataires pousseront les papys et mamies à dépenser leurs maigres retraites en bling pour défiler. Des stickers "Rock is not dead" pour les déambulateurs, des ateliers "je décore mon fauteuil roulant et ma canne", des ateliers d'écriture "ma hanche mon avenir". Le tout sous LSD.

Lieu "bien-être" façon snozelen en plus psychédélique, partouzes récréatives "l'orgasme c'est la santé". Je suis sûre qu'il y a des tas de choses à inventer pour maintenir les seniors de demain (mes copines et moi) en simili-forme pour qu'ils et elles continuent de consommer du services payant et du loisir, autant que des fringues, du make-up, de la malbouffe, des assurances pour assurer les assurances. Des restaus "tout purée-tout compote". J'ai une tonne d'idées...

Etant comme je vous l'ai dit un parasite culturel, cette courbe qui m'amène vers l'inexorable décrépitude élégante des gens qui n'auront bientôt plus besoin de faire semblant d'avoir les cheveux blancs de façon naturelle représente un atout certain pour les engins de ma sorte. En effet, Avignon, terre de théatrogénie, est le paradis des vieux et vieilles diplômé.e.s. Les théâtres auraient déjà fermé sans les baby-boomers passionnés de culture et l'urgence de trouver rapidement un public de remplacement se fait sentir. Moi, quinqua, je suis une alternative, je représente la transition. Ce n'est une bonne nouvelle pour personne.....Je serai âgée de 70 ou 80 ans d'ici qu'une nouvelle fournée susceptible de s'installer sur des fauteuils en velours rouges ou des escaliers casse-dos et autres strapontins. Car si nos amis baby boomers ont il est vrai la peau dure, et c'est tant mieux, ne rêvons pas, à part quelques transhumanistes qui auront eu l'intuition de se transférer dans un disque dur à roulettes, à un moment ou un autre, il va falloir leur dire Adieu.

Pour l'instant il faut bien le dire, beaucoup sont fringants et plus actifs que moi, mais pour ce qui est d'un public jeune, j'ignore où le trouver. Les jeunes sont nombreux sur scène et dans les écoles d'art toutes disciplines confondues, c'est déjà ça, mais dans les salles, sur les fauteuils, malgré le pass culture, le meilleur moyen de les amener au spectacle c'est encore de les payer ou de les obliger en imposant via l'éducation nationale, des séances "scolaires". Est-ce que ça va suffire ?

Pour le In, je ne suis pas inquiète, y être vu est un marqueur social, c'est un peu le Courchevel sans neige, mais pour le off, c'est plus complexe. On y va de son plein gré, il n'y a pas de motivation extrinsèque absolument évidente. Quand vous rentrez du festival off, c'est moins facile de faire des soirée vidéos de vos vacances que si vous étiez allés aux Seychelles ou même en Tunisie via Carrefour Voyage (à crédit en plusieurs fois avec la carte fidélité). Je vois bien que nombre de nos baby boomers cultureux cumulent les handicaps : voyageurs invétérés et bénéficiant du fameux prix senior défiant toute concurrence, retraite pré-macronienne etc, dont nous les vieux de demain, nous ne bénéficierons pas. Il nous faudra donc des motivations nouvelles pour venir au théâtre : ma préférée c'est la clim pendant la canicule (tant que c'est permis), je suis déjà accro!

Il y a  plusieurs problèmes à régler, remarquez, même pour la transition opérée par les Nold : nous sommes plus fragiles que les Baby Boomers, plus dépressifs (les chiffres sont sans appel), et certains d'entre nous n'ont pas le poids financier équivalent à leur poids corporel. Rester cassé en deux sur des bancs pourris pendant deux heures, normalement c'est un truc de jeunes ! Ben, non, au festival off, c'est un loisir de retraités !

Je ne vois qu'une solution, arrêter de vieillir, devenir immortels, ou démocratiser l'acharnement thérapeutique : mamie est sur un lit à roulette, les yeux fermés ? Et alors, c'est son droit de venir au théâtre quand même ! L'accessibilité est un boulevard qu'il faut emprunter et développer.  Inclusion j'élargis ton nom...

Offrir des places de théâtre aux enfants à noël : si tu savais écrire une phrase sans fautes, je t'aurais offert des Nike ou un drone, petit con!

Parce que nous les Nolds, c'est sur, on va craquer, on va finir par aller courir tous nus dans la campagne en faisant des bruits de kangourous ! Entre 2 générations de narcissiques qui ont tout compris à la vie, les Nold ont beau continuer d'aller pogoter quand ils peuvent et porter des Doc Martens, ce sont quand même eux qui torchent les BB Alzheimer et ce sont aussi eux qui se tapent les caprices de leurs joyeux bambins moitié Iphone moitié hamburger végan. Notre génération n'est pas une valeur sûre. Ce n'est pas une génération sur laquelle il faut miser, elle ne va pas faire long feu.

Ratiboisée à la racine par les années SIDA elle partait déjà mal, sans parler de Tchernobyl, mais voilà qu'en plus elle a croisé le mouvement des Rave et elle a le sens aigu de la fête, le coude agile, la dépression dans le sang. Comparons les rockers : les rolling stones ont la pêche, les tenants du rock des Nold, les grunges, sont quasi tous morts ou agonisants : c'est mathématique, on ne tient pas la route ! Pour la silver economy, il va falloir faire un plan drastique, nous faire cloner ou que sais-je !

Drogués, on l'est déjà : aux antidépresseurs, aux anti-douleurs, sans parler du shit, de l'herbe, du pinard, du sexe, des écrans, j'en passe et des meilleurs !

Pour les idoles des nouveaux jeunes, le prognostic vital est déjà engagé : quand on en regarde certains, on se demande si le pouls bat encore. En tous cas question activité cérébrale le constat reste incertain...Faut voir. 

Bref, nous les vieux de demain, on lit Gen War et on se marre mais sortie des BD on a peu à manger alors on picore un coup dans la gamelle des jeunes un coup dans la gamelle des vrais vieux légitimes ; on porte des New Balance, on essaie de se reconnecter à la campagne, on fait beaucoup de bénévolat pour oublier qu'on n'a plus assez de boulot pour vivre décemment, on évite le oin-oin pas chic pour les ex-fans des nineties, alors on est les champions de la mauvaise humeur et de l'impolitesse pour compenser, parce que "y'a pas écrit la poste" (référence générationnelle) et que nous, on a vraiment vu jouer sur scène un humoriste qui faisait des blagues sur son propre cancer, alors l'humour "caustique" de France Inter ça nous fait plus rien, on est complètement désensibilisés. On voudrait ben mais on peut point...

J'arrête ici mon mauvais esprit et mes jérémiades. Je suis inquiète pour le théâtre : quels culs vont s'asseoir sur les sièges en velours et les chaises en plastiques si nous, les vieux de demain, on n'y va pas ? 

Ah Ah

Conseil, lire Gen War et écouter l'excellente interview de Mo CDM par Pierre AVRIL sur RAJE www.raje.fr









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