lundi 10 juin 2024

La prostitution étudiante : une pièce pour comprendre et espérer : J'aimerais Arrêtée par Adeline Avril




Alors qu'elle n'en peut plus, un soir, Sonia recherche de l'aide sur internet. Trouvant le site d'une association dont la mission est d'aider les étudiants et étudiantes à sortir de l'engrenage de la prostitution, elle laisse ce message, comme on lance une bouteille à la mer: "je voudrais arrétée". La faute d'orthographe est aussi vraie que l'histoire de Sonia. Ce qui suit, c'est la relation épistolaire (digitale) qui va se créer entre elle et François, bénévole de cette association, dans le chaos du monde. 

Y-a-t-il encore du sens à rechercher de l'aide, à l'espérer de l'autre un mot qui fait la différence ?

Y-a-t-il encore du sens à aider sans rien attendre en retour qu'une flamme de vie dans l'autre qu'on ne connaît pas et qui sombre ?

J'aime beaucoup le théâtre de Violaine Arsac. Elle aborde des sujets dramatiques et cherche le meilleur angle afin de faire entrer la lumière par les brèches, même lorsqu'elle traite des sujets les plus désespérants. Ici, il s'agit de la prostitution étudiante.

Encore une fois, elle a trouvé le moyen de traiter théâtralement ce sujet de façon inédite, tout en y mettant une pincée d'espoir.

Bien évidemment, on ne verra pas ici un énième Christiane F et c'est sans doute ce qui est perturbant dans la version qui nous est proposée. L'héroïne est bien loin des clichés que l'on a souvent associés à la prostitution : drogue, déchéance physique et psychique, maladie mentale ou autre, et si son incapacité à résister à l'argent "facile" en vendant son corps l'amène souvent au bord du gouffre, lui donnant envie de mourir, elle continue malgré tout, de façon étonnante, à travailler pour "son avenir", se présente aux partiels, étudie, vie quasiment une vie ordinaire. Bien sûr sa famille ne peut se douter de rien.

Et ce n'est pas une version édulcorée de la problématique qui nous occupe ici, puisque Violaine Arsac a adapté le livre éponyme écrit par un bénévole associatif, bénévole qui est le second personnage de cette pièce. Car oui, c'est bien d'une histoire vraie qu'il s'agit.

La force de ce spectacle réside donc dans sa véracité, dans sa mise en scène aussi discrète qu'efficace et bien sûr dans le jeu admirable des deux protagonistes : chacun à un bout d'internet, tapote sur son ordinateur, ce pourrait être pénible et c'est pourtant éblouissant. De cet internet qui amène la facilité pour les prédateurs de trouver des proies et donc facilite la prostitution, sort aussi la profonde humanité de ce François qui tente sans juger de donner de la force à cette jeune fille qui demande de l'aide et est toujours sur le fil du rasoir.

C'est aussi un angle original du parti pris de mise en scène de Violaine Arsac : des ténèbres on peut faire jaillir un peu de lumière. Et les deux comédiens sont poignants, chacun face à ses difficultés, ses doutes, la limite de ses possibilités. Charline Fréri, jeune comédienne lumineuse dans le rôle de Sonia et Aliocha Itovich, comédien sensible, habitué du monde de Violaine Arsac et bien connu des amateurs de théâtres incarne un François tout en nuances.

Une autre force du spectacle c'est qu'à l'heure actuelle, alors qu'on reconnaît enfin la souffrance des femmes, la toxicité réelle d'un patriarcat oppressant, l'opprobre aveugle est jetée sur l'ensemble du genre masculin. Ici, les prédateurs ne sont pas occultés, ce sont les consommateurs de chair fraîche qui tentent la jeune fille modeste et font cet dynamique de l'offre et de la demande qui la réduit à un fantôme. Mais le bénévole, lui, offre une autre vision de l'homme, non prédateur, non paternaliste, aidant neutre. Une autre possibilité.

On se réjouit de voir mis en lumière une masculinité vertueuse. Même si on m'opposera qu'elle n'est pas une généralité, il me semble intéressant de la montrer, de l'opposer au culte du bad boy qui lui, n'est jamais remis en question.

Voilà donc plusieurs raisons d'aller voir "je voudrais arrétée" au delà même de cette réflexion proposée sur la prostitution étudiante. Violaine Arsac, comme toujours, multiplie des regards possibles sur le fléau en s'attachant aux individus. Si elle traite des problèmes, ce qu'elle propose aussi c'est un théâtre fondé sur la mécanique des solutions.

Autant de pistes pour vous donner envie d'aller voir cette pièce pendant le off au théâtre de La Luna. Vous l'aurez compris, je l'ai aimée, donc je la conseille ! 


Adeline Avril




Texte de François Wioland, bénévole du mouvement du nid

Adaptation et Mise en scène de Violaine Arsac

Jeu : Aliocha Itovitch et Charline Fréri

Musique : Stéphane Corbin

Lumières : Amandine Voiron


Réservations : 04 12 29 01 24 

Du 29 juin au 21 juillet  (relâche les 3, 10, 17 juillet)
à 14h40  
Durée: 1h05
LA LUNA  / QUARTIER LUNA 

Triangulaire ou La maîtresse imaginaire, de Yamina Hadjaoui par Adeline Avril

 



Triangulaire , comédie écrite et mise en scène par Yamina Hadjaoui 

Vu au théâtre de la Tache D'Encre à Avignon


Voilà le couple de Tiphaine et Mathieu arrivé à la cinquantaine : les enfants n’ont plus besoin d’eux, le nid est vide, et ce qu’ils ont été ces dernières années , ce qu’ils sont devenus ne leur permet plus de fonctionner dans un monde qui a changé. Un monde dans lequel ils se sentent dépassés, obsolètes. 


L’une a des bouffées de chaleur et quelques sautes d’humeur quand l’un se sent mal aimé, éternel second rôle. Comment redevenir amants après avoir été essentiellement parents ?

Deux, est-ce assez pour retrouver le goût de vivre et de participer au monde, pour se configurer de manière à aimer et désirer ?


Ce fameux troisième "côté" qui manque désormais, par qui ou quoi peut-il être remplacé, ou représenter, de façon à retrouver un équilibre ?

C’est à partir de ce questionnement que l’auteure, fascinée par le couple en tant que sujet théâtral, à bâti une comédie autour du sujet de la cinquantaine, ce moment de crise riche en situations humoristiques et questionnements existentiels.


Bien sûr, Tiphaine et Mathieu vont tâtonner et incidemment trouver un troisième angle susceptible de les revigorer… Mais comment vont-ils s’y prendre, jusqu’où vont-ils aller ?


Une pièce avec canapé dont la scénographie soignée exalte le décalage , ce qui en fait autre chose qu'un marivaudage.

Le décors noir et blanc permet de suivre les personnages sans être encombré par un souci lié aux "accessoires" et plonge les personnages dans un univers simple et élégant qui nous signale immédiatement en entrant l'universalité des propos.

Dans cette mise en scène au service du texte et des comédiens, on suit non seulement l'état d'esprit des personnages, que leurs mots articulés contredisent, mais on plonge aussi dans leur chaos personnel.
Et bien sûr, il y a le soupçon, les égarements, le suspense !

Une comédie bien menée, vraiment drôle. Sans prétention affichée, elle surprend par sa profondeur et une vision juste de la condition humaine vécue à deux et pourtant toujours solitaire.

Une belle surprise pour cette création "spécial off".

Il est à noter que cette année, l'autrice et metteuse en scène Yamina Hadjaoui présente aussi une spectacle pour jeune public au théatre du Rouge Gorge ! Un nom à retenir !



Au théâtre de la tache d'encre, 1 rue de la Tarasque
1h 10
Ecriture et Mise en Scène : Yamina Hadjaoui
Avec Marie-Ange Gil et Julien Joerger
Scénographie et décors: Igor Fernandez
Costumes: Marie-Ange Gil
Tous les jours à 20h
Relâche le 9 et le 18
Réservations : Tel: +33 (0)4 90 85 97 13







jeudi 6 juin 2024

Médée La Révoltée

 Médée d’ARES, femme désirante, indéfendable ?

Nouvelle création d'Isabelle KRAUSS

Vu au Théâtre des 3 raisins en sortie de résidence





Médée n'aura-t-elle droit qu'à l’enfer qui échoit aux empoisonneuses et aux meurtrières ?


C’est la question que nous pose ce mythe. C’est aussi la question que nous pose le texte de Jérôme de Leusse, osant y ajouter la somme des questionnements contemporains sur la condition féminine.

Utilisée par un Jason l’argonaute,  cynique ou pétri de sa condition d’être supérieur d’homme, Médée revient sur ce cheminement sensuel plus que moral qui l’a amenée à tuer ses fils. Mais la pièce ne se concentre pas sur cet aspect du mythe. 

Elle revient sur ce crime aussi, bien antérieur, qu’elle a commis par amour et qui l’a fait passer de l’or des héritières à la condition de sous-être, qui l’a amenée à se trouver remplacée dans la couche de celui qu’elle a amené au pouvoir.

L’emprise, la trahison, la violence de Jason, homme tout puissant, sa traitrise magnifiée, son droit de la répudier, son mépris pour ce qu’elle est : une femme.

Le jeu d’Isabelle Krauss, qui s’inscrit dans une continuité de la tragédienne au point qu’on pourrait la comparer à certaines traditions codées japonaises, sert magnifiquement l’atemporalité du mythe et fait exister cette Médée torturée et hors d’elle au sens strict du terme par delà les codes imposées par le théâtre antique ou les grands dramaturges spécialisés dans l’utilisation des mythes à des fins contemporaines.

Médée plaide sa cause. Elle qui fut traitée de sorcière, de magicienne, et vouée aux gémonies avant même de commettre l’ultime et impardonnable infanticide, elle se rebelle contre sa condition de marche-pied, de viande-femme. Dans cette incarnation, elle ne semble rien attendre qu’une révision des conditions de sa condamnation, telle un esclave qui en appelle à réexaminer les conditions qui ont précédée le meurtre de son maître injuste. 

Le décor est surprenant, figurant une matrice aux couleurs diaprées, changeantes, on se trouve dans un nulle part qui n’est pas sans évoquer une sorte de purgatoire. Il y a quelque chose de la science fiction des années 70 dans cette scénographie qui doit beaucoup à la sur-écriture permise par le travail sur la lumière ainsi qu’à la musique entêtante et surnaturelle. De même qu’Isabelle Krauss, au visage couvert d’or a tantôt l’air lumineuse tantôt salie, au gré des jeux d’ombres  et de sa danse au milieu des pans d’une immense tenture, très belle, nous imposant sans violence une vulve géante dont Médée est tantôt la voix tantôt l’avalée.


Comment revisiter le mythe de Médée ?


Le mythe de Médée est un casse tête. Véritable victime de l’homme mais aussi de sa propre sensualité, elle représente aussi l’indéfendable, l’intouchable.

La mère infanticide. L’amoureuse plus que la mère pour être plus précis, puisqu’un mythe ne se “regarde” pas au premier degré. Nous ne sommes pas dans les tabloïds, ou sur les réseaux sociaux, à juger .

Avec ce texte, grâce à cette scénographie et à l’incarnation charnelle d’Isabelle Krauss qui rend parfaitement audible la détresse de Médée d’Arès l’on se rend sur “une autre scène” en tant que spectateur.ices, on questionne l’ensemble des verdicts qui fusent dans le monde à l’encontre des femmes, dont on juge les faits et gestes avec un regard différent de celui qui inspecte le masculin “héroïque”.

Ainsi, ce n’est pas une relecture totale du Mythe de Médée que propose le texte, mais une mise en avant de la trajectoire d’une femme qui résonne comme un réexamen de nos propres à prioris sur celles que l’on a qualifiées un peu vite de sorcières pour pouvoir les brûler sans procès. Et un questionnement sur le sacrifice d’une femme qui s’est pliée au désir de descendance de son “seigneur” alors qu’elle était peut-être faite pour une autre vie. Une femme assignée à sa nature de sous-être et donc peut-être assignée au sang, avec le crime pour tout échappatoire.

Rassurez vous, pas de #jesuismédée, de #pendezla ou autre. Le propos se tisse de façon subtile même s’il rejoint un questionnement contemporain de façon juste et surtout, ce spectacle permet de réintroduire un mythe important dans un registre philosophique et littéraire, sans la lourdeur didactique que l’on pourrait craindre.

Ici, sensualité rime avec élégance.


Musique Pierre-Marie Trilloux

MES Isabelle Krauss

Texte Jérôme de Leusse

Crédit photo : Théâtre des 3 raisins


Malheureusement, ce précieux joyau ne sera pas visible durant ce festival off 2024, il faudra attendre l'année prochaine.

dimanche 2 juin 2024

Sympathy for La vieille Ville


 Toujours en direct d'Avignon, terre de culture et de bouffe, ville médiévale et minuscule terreau des névroses occidentales (et autres) en tous genres.

Avançant en âge, je me prépare doucement à faire partie de la silver economy, cette branche incertaine et floue allant du slip anti-fuites aux couches pour adultes, des traitements naturels contre les effets secondaires de la ménopause aux diverses formes de la molécule connue sous le nom de viagra. Bref, du jeune vieux récemment baptisé Nold (jamais vieux mais plus jeune) par des marketers avisés au grabataire jovial, en passant par la Iris Apfeld du coin, la nouvelle Brigitte Bardot (plutôt Winona Ryder ou Béatrice Dalle pour nous) de l'ehpad ou l'intraitable retraité.e, autant que la pauvre vieille du futur, obligée de faire des ménages malgré son arthrose, ou de voyager pour fuir l'ennui et trouver un amant lisse et vigoureux dans des contrées qui ont faim... de passeport autant que de pain. Je n'aurai pas les moyen de faire installer un stana dans mon appartement de location, cela tombe bien, j'habite au rez-dechaussée.

Je suis du genre prévoyante. Normal, je suis atteinte d'un handicap physique peu visible depuis que j'ai quarante ans. Le nombre de marches, l'accès à la boite aux lettres, cela fait un moment que je me préoccupe de ce genre de détails. Et cela ne va pas s'arranger.

Chez les pré-seniors qui ont la chance d'avoir encore "la santé", et les séniors la compétition est rude. C'est à celui ou celle qui marche le plus vite en balade nordique avec deux batons de ski dans la garrigue. A celui qui a su garder une bonne mutuelle et fait tous les examens imposés pour éviter les catastrophes. A celui qui a de belles facettes d'un blanc éclairant la nuit.  Je ne gagnerai pas cette compétition là, les hôpitaux public ressemblent à des dispensaires d'autrefois, les maladies nosocomiales pullulent et régulent les dépenses de sécurité sociale. Mon frère, mon père, ma mère et nombre d'amis en ont fait les frais. Soleil vert est une hérésie. Qui mangerait du vieillard avarié ? 

On aurait de nouveaux problèmes de prion. Il vaut mieux manger des bébés et si ce n'était cette fichue silver économie, sans doute qu'au nom de la dignité humaine, on me terminerait avec plaisir "pour mon bien et ma dignité" avant que je devienne acariâtre et trop couteuse. Par chance le libéralisme débridé sait faire faire de l'argent au manque d'argent, qu'il s'agisse d'agios ou de biens d'absolue innécessité que nous consommerons pour rester sur le manège enchanteur de la société moderne selon l'esthétique existentielle de la walt disney Company. Dentiers jetables peu chers ? Perruques chic? Flouteurs dignes de la cape d'invisibilité de Harry potter, strip-tease pour les vieux ? Gigolos remboursés par certaines mutuelles, peut-être même la CMU? Faux seins jetables, reins d'appoint recyclables ? Tant qu'on est bon consommant on nous tolère. J'espère que de nouveaux antidouleurs apparaitrons sur le marché libre, des produits qui ne niquent pas le foie, ou bien une amnistie "drogue dure pour les seniors" ( un "contrat social" de type : à partir de 60 ans, mettez vous ce que vous voulez dans le nez, mais ne prenez plus le volant, par exemple).

Les défilés de mode avec des grabataires pousseront les papys et mamies à dépenser leurs maigres retraites en bling pour défiler. Des stickers "Rock is not dead" pour les déambulateurs, des ateliers "je décore mon fauteuil roulant et ma canne", des ateliers d'écriture "ma hanche mon avenir". Le tout sous LSD.

Lieu "bien-être" façon snozelen en plus psychédélique, partouzes récréatives "l'orgasme c'est la santé". Je suis sûre qu'il y a des tas de choses à inventer pour maintenir les seniors de demain (mes copines et moi) en simili-forme pour qu'ils et elles continuent de consommer du services payant et du loisir, autant que des fringues, du make-up, de la malbouffe, des assurances pour assurer les assurances. Des restaus "tout purée-tout compote". J'ai une tonne d'idées...

Etant comme je vous l'ai dit un parasite culturel, cette courbe qui m'amène vers l'inexorable décrépitude élégante des gens qui n'auront bientôt plus besoin de faire semblant d'avoir les cheveux blancs de façon naturelle représente un atout certain pour les engins de ma sorte. En effet, Avignon, terre de théatrogénie, est le paradis des vieux et vieilles diplômé.e.s. Les théâtres auraient déjà fermé sans les baby-boomers passionnés de culture et l'urgence de trouver rapidement un public de remplacement se fait sentir. Moi, quinqua, je suis une alternative, je représente la transition. Ce n'est une bonne nouvelle pour personne.....Je serai âgée de 70 ou 80 ans d'ici qu'une nouvelle fournée susceptible de s'installer sur des fauteuils en velours rouges ou des escaliers casse-dos et autres strapontins. Car si nos amis baby boomers ont il est vrai la peau dure, et c'est tant mieux, ne rêvons pas, à part quelques transhumanistes qui auront eu l'intuition de se transférer dans un disque dur à roulettes, à un moment ou un autre, il va falloir leur dire Adieu.

Pour l'instant il faut bien le dire, beaucoup sont fringants et plus actifs que moi, mais pour ce qui est d'un public jeune, j'ignore où le trouver. Les jeunes sont nombreux sur scène et dans les écoles d'art toutes disciplines confondues, c'est déjà ça, mais dans les salles, sur les fauteuils, malgré le pass culture, le meilleur moyen de les amener au spectacle c'est encore de les payer ou de les obliger en imposant via l'éducation nationale, des séances "scolaires". Est-ce que ça va suffire ?

Pour le In, je ne suis pas inquiète, y être vu est un marqueur social, c'est un peu le Courchevel sans neige, mais pour le off, c'est plus complexe. On y va de son plein gré, il n'y a pas de motivation extrinsèque absolument évidente. Quand vous rentrez du festival off, c'est moins facile de faire des soirée vidéos de vos vacances que si vous étiez allés aux Seychelles ou même en Tunisie via Carrefour Voyage (à crédit en plusieurs fois avec la carte fidélité). Je vois bien que nombre de nos baby boomers cultureux cumulent les handicaps : voyageurs invétérés et bénéficiant du fameux prix senior défiant toute concurrence, retraite pré-macronienne etc, dont nous les vieux de demain, nous ne bénéficierons pas. Il nous faudra donc des motivations nouvelles pour venir au théâtre : ma préférée c'est la clim pendant la canicule (tant que c'est permis), je suis déjà accro!

Il y a  plusieurs problèmes à régler, remarquez, même pour la transition opérée par les Nold : nous sommes plus fragiles que les Baby Boomers, plus dépressifs (les chiffres sont sans appel), et certains d'entre nous n'ont pas le poids financier équivalent à leur poids corporel. Rester cassé en deux sur des bancs pourris pendant deux heures, normalement c'est un truc de jeunes ! Ben, non, au festival off, c'est un loisir de retraités !

Je ne vois qu'une solution, arrêter de vieillir, devenir immortels, ou démocratiser l'acharnement thérapeutique : mamie est sur un lit à roulette, les yeux fermés ? Et alors, c'est son droit de venir au théâtre quand même ! L'accessibilité est un boulevard qu'il faut emprunter et développer.  Inclusion j'élargis ton nom...

Offrir des places de théâtre aux enfants à noël : si tu savais écrire une phrase sans fautes, je t'aurais offert des Nike ou un drone, petit con!

Parce que nous les Nolds, c'est sur, on va craquer, on va finir par aller courir tous nus dans la campagne en faisant des bruits de kangourous ! Entre 2 générations de narcissiques qui ont tout compris à la vie, les Nold ont beau continuer d'aller pogoter quand ils peuvent et porter des Doc Martens, ce sont quand même eux qui torchent les BB Alzheimer et ce sont aussi eux qui se tapent les caprices de leurs joyeux bambins moitié Iphone moitié hamburger végan. Notre génération n'est pas une valeur sûre. Ce n'est pas une génération sur laquelle il faut miser, elle ne va pas faire long feu.

Ratiboisée à la racine par les années SIDA elle partait déjà mal, sans parler de Tchernobyl, mais voilà qu'en plus elle a croisé le mouvement des Rave et elle a le sens aigu de la fête, le coude agile, la dépression dans le sang. Comparons les rockers : les rolling stones ont la pêche, les tenants du rock des Nold, les grunges, sont quasi tous morts ou agonisants : c'est mathématique, on ne tient pas la route ! Pour la silver economy, il va falloir faire un plan drastique, nous faire cloner ou que sais-je !

Drogués, on l'est déjà : aux antidépresseurs, aux anti-douleurs, sans parler du shit, de l'herbe, du pinard, du sexe, des écrans, j'en passe et des meilleurs !

Pour les idoles des nouveaux jeunes, le prognostic vital est déjà engagé : quand on en regarde certains, on se demande si le pouls bat encore. En tous cas question activité cérébrale le constat reste incertain...Faut voir. 

Bref, nous les vieux de demain, on lit Gen War et on se marre mais sortie des BD on a peu à manger alors on picore un coup dans la gamelle des jeunes un coup dans la gamelle des vrais vieux légitimes ; on porte des New Balance, on essaie de se reconnecter à la campagne, on fait beaucoup de bénévolat pour oublier qu'on n'a plus assez de boulot pour vivre décemment, on évite le oin-oin pas chic pour les ex-fans des nineties, alors on est les champions de la mauvaise humeur et de l'impolitesse pour compenser, parce que "y'a pas écrit la poste" (référence générationnelle) et que nous, on a vraiment vu jouer sur scène un humoriste qui faisait des blagues sur son propre cancer, alors l'humour "caustique" de France Inter ça nous fait plus rien, on est complètement désensibilisés. On voudrait ben mais on peut point...

J'arrête ici mon mauvais esprit et mes jérémiades. Je suis inquiète pour le théâtre : quels culs vont s'asseoir sur les sièges en velours et les chaises en plastiques si nous, les vieux de demain, on n'y va pas ? 

Ah Ah

Conseil, lire Gen War et écouter l'excellente interview de Mo CDM par Pierre AVRIL sur RAJE www.raje.fr









samedi 6 janvier 2024

Denali , la tragédie

                                                        denali théâtre chronique Théâtrogène Adeline Avril


L'histoire : à Anchorage, de jeunes américains ont assassiné une des leurs pour de l'argent. Le fait est réel, il est encore en cours d'instruction. Qui est coupable, comment cela s'est-il passé, comment, pourquoi ?

Lorsque j'ai vu Denali l'hiver dernier en sortie de résidence à la Factory-théatre de l'Oulle, il m'est apparu évident que je venais de voir quelque chose qui comptait. Quelque chose, oui, je ne peux simplement dire "un spectacle", de cette pièce parce que parfois, l'art vous permet d'expérimenter une distorsion qui dissout les frontières entre les catégories, vous mettez un certain temps à oser catégoriser l'oeuvre. C'est le cas pour Dénali, qui n'est pas une simple "série Netflix" jouée sur scène.

Je ne savais pas alors que je ne serais pas la seule, loin de là, à mettre Denali-la pièce de théâtre, très haut dans mes émotions théâtrales de la saison. J'ai vu beaucoup de pièces - et des très bonnes - et pourtant à ce jour, si l'on me questionne sur celle qui m'a le plus marquée, je réponds sans hésiter "Denali".

Cette réponse n'est pas intellectuelle, et pourtant cette oeuvre originale résiste très bien à l'explication intellectuelle. Le dispositif scénique est non seulement original, nouveau, réfléchi et extrêmement bien pensé et exécuté, mais en plus il amène une contrainte technique supérieure qui a pesé sur les comédiens, la mise en scène, et  contribue à libérer le spectateur de tout effort quant à la suspension de crédibilité, ce fameux pacte qui lie les artistes aux spectateurs. Nous sommes peut-être hypnotisés comme si nous étions en train de binger les épisodes d'un très bon thriller sur un écran et pourtant, c'est en mentaliste des arts vivants que le metteur en scène nous maintient au théâtre, attirant notre attention tantôt côté cour, tantôt côté jardin, selon que les décors changent, les situations aussi. La virtuosité réside en partie dans la discrétion du dispositif.

L'on a beaucoup parlé d'une pièce qui théâtralise les codes du thriller à l'américaine et particulièrement des séries telles que Fargo, qu'affectionne Nicolas Le Bricquir. C'est vrai, mais on l'a tellement dit que je vais me concentrer sur autre chose. En venant voir cette pièce, vous vivez certes une expérience de narration addictive comme un très bon thriller mis en épisodes, mais ne vous y trompez pas, c'est bien de théâtre contemporain qu'il s'agit. Un théâtre qui amène la tragédie contemporaine à un niveau qui nous est de nouveau accessible, sans le truchement de vers shakespeariens. Car Nicolas Le Bricquir aime certes Fargo ou True Story, mais il ne dédaigne par pour autant jouer ou monter Electre, Antigone, ou du Shakespeare. Et cela se voit et se sent quand on prête bien attention aux enjeux qui se révèlent, aux dilemmes et aux alliances qui se nouent au fil de la progression narrative.

En effet, la pièce écrite par Nicolas le Bricquir est inspiré d'un fait divers réel dont le procès est encore en cours, pour autant, ce n'est pas du Ken Loach sur les planches ou du théâtre documentaire. L'idée du tragique, de la survenue du tragique ne s'embarrasse pas de métaphores. On est ici et maintenant, Denali a tué, dans un petit bled d'Alaska où elle s'ennuyait à mourir. Denali rêvait, pas seulement d'une vie meilleure, non, elle rêvait d'une vie waouh !, comme celle des héros de télé-réalité, celle qu'elle croit voir sur certains réseaux sociaux, comme celle que vivent les stars ! Elle s'auto-hypnotise avec des chansons qui prônent la force, la cruauté, le crime, la vie facile, l'argent pour tout horizon. Une forme de no future hyper libéral dans un contexte esthétique hyperpop propre à la génération née dans l'enfer digital des injonction marchandes , "l'hubris pour tous" des stars d'un quart d'heure. Be rich and famous or die ! No matter how ! By all means ! Hustle ! 

Denali n'est pas le mal mais il semble que sous l'influence d'une égrégore médiatique elle va devoir l'incarner dans la pièce.

Vous pouvez vous renseigner sur ce fait divers, cette tragédie de notre époque, mais je ne vous le conseille pas, et quant à moi je ne veux pas déflorer l'intrigue. No spoiler alert here ! Faites le ensuite !

Le plus fou reste que celle qui se cache derrière cette héroïne fatale a réussi son coup : à l'autre bout du monde, elle est devenue l'héroïne d'une pièce de théâtre. Il semble que le fatum, axe de toutes les tragédies soit encore à l'oeuvre dans cette pièce. Quid du libre arbitre ? Qui manipule, qui est manipulé ?

Reste que dans cette tragédie ce n'est pas celle d'une reine ou un roi qui a des dilemmes, ce n'est pas une tête couronnée qui va ourdir un complot pour atteindre ses objectifs, mais des jeunes gens, quasi des enfants, des enfants comme les vôtres, écoutant la même musique, regardant peut-être les mêmes émissions, suivant les mêmes comptes de stars sur les réseaux sociaux.

Denali est admirable et perturbant. La pièce ne dénonce pas, elle questionne et c'est là qu'elle devient redoutable. Construite à la fois comme une enquête et comme une recherche de la vérité, autant que comme une quête de sens : comment "la chose" a-t-elle pu arriver?" , la forme du thriller théâtral nourrit la réflexion autant que l'histoire, et la quête nourrit notre fascination, la même faim de comprendre que nous partageons avec les enquêteurs.

Le dispositif scénique est judicieux. La scène est séparée en deux. L'espace des fragments du réel, de ses traces, à travers des scènes rejouées, les événements tels qu'ils sont racontés, assumés ou non, mais aussi des extraits de conversations par texto, des bribes de films vidéos, des morceaux aussi de l'environnement culturel (pop) des protagonistes...L'espace de l'enquête, des interrogatoires, avec des comédiens qui parviennent à exprimer une réalité de façon très vraie, loin des standards du théâtre (parler fort…) et pourtant clinique comme un huis clos étouffant. On y suit aussi les moment où les "coupables" se rassemblent dans l'appartement d'un personnage, vivant une vie dans laquelle on les voit davantage concernés par les moyens de s'en sortir et de ne pas aller en prison que par la cruauté de leur plan.



Est-ce le procès d'une époque faite d'infobésité, de surmédiatisation, du culte de l'argent porté à son paroxysme ? De l'ennui ressenti par des populations rurales reléguées, peu éduquées, qui ne se nourrissent plus que de fiction et ont perdu le sens de l'empathie ?

C'est une tragédie comme Antigone, Electre, Hamlet, ou le Cid même si l'héroïne de la pièce éponyme n'est peut-être pas aussi sympathique que certains personnages des tragédies connues. Elle n'a pas non plus la vie de ses prédécesseurs ni le luxe de la révolte et c'est aussi cet aspect là de l'histoire qui en fait la richesse. Coupable de crime oui, mais à qui profite le crime? Quelle est la voix sordide qui l'a amenée là ? Quel pacte faustien s'est noué sans qu'elle s'en aperçoive ?

Les voix et textes de stars internationales jouent ici le rôle de sorcières, de démons, inversant le principe de la symbolisation qu'on aime d'habitude à éplucher, étudier, élucider. 

Ainsi le thriller populaire se voit revigoré, de même que la tragédie classique. Les choses sont dites comme elles sont, les faits sont nus comme leurs personnages, on va à l'os et l'on se sent tous concernés. Le fait social n'est pas romantisé ou utilisé pour un combat. 

Je pourrais en parler davantage tant j'ai aimé ce spectacle, mais ce serait contre-productif car mon conseil tient en trois mots : allez voir Denali ! Et suivez de près Nicolas le Bricquir et son équipe, les acteurs, les compositeurs, les techniciens. Je pense que nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec ce jeune dramaturge, comédien et metteur en scène qui est, sachez le, un  travailleur acharné ! 


Vous pouvez aussi retrouver, sur Raje, en podcast, les deux interviews qu'il nous a données. La première, notamment, au sortir de sa résidence, au micro de Pierre Avril.

Quant à moi, j'ai eu le bonheur de l'interroger récemment sur la place de la musique dans ses créations et aussi (suspens...) sur ses projets à venir.

Remerciements à Nicolas Le Bricquir et à Lynda Mihoub, attachée de presse et agent artistique, ainsi qu'à Laurent Rochut, de la factory théâtre de l'Oulle, dénicheur de pépites grâce à qui nous avons découvert Denali.

Teaser de Dénali

Emission Le Son Des Planches avec Nicolas Le Bricquir (disponible dès le second jeudi de janvier )

Crédit photo : la factory, studio théâtre Marigny, Agence LM

Pour bien finir l'année (ou presque)

 





Je ne suis pas une personne d'habitude, mais j'ai le goût du bonheur et j'avais envie de garder un dernier bon souvenir de 2023, de finir en somme sur une note chaleureuse, en allant voir une pièce de théâtre qui commence par une scène où un type annonce à une femme, par téléphone, qu'il va se suicider .....

Oui, le goût du bonheur passe par des chemins sinueux, surtout en période de "fêtes".

Donc, je suis allée voir "Meilleurs vœux (ou presque)" au théâtre de l'adresse. C'est un peu comme une soirée en famille sauf qu'au lieu des neveux déguisés, il y a une vraie scène et des vrais comédiens. Ces comédiens, cette compagnie "bien d'ici" ne joue pas la messe de minuit ni la pastorale. Il s'agit de Nathalie Comtat, et d'Olivier Douau, de la compagnie du nouveau monde.

C'est la seconde fois que je bouge mes vieux os un soir de réveillon ou presque, pour aller les réchauffer à leur feu sacré. C'est assez rare pour le signaler. La deuxième fois, donc, que je vais voir leur délirante version de la pièce "Meilleurs vœux" de l'autrice à succès Carole Greep.

L'histoire commence mal pour Antoine. Lassé d'une vie qu'il juge sans intérêt, se considérant lui même comme un homme inintéressant, il a décidé de "sauter le pas" et de mettre comme on dit élégamment "fin à ses jours". 

Antoine, joué par Olivier Douau, est du genre qui rate sa vie à force de la vivre par procuration, de loin, sans s'engager véritablement dans rien. Le voilà donc à un "certain âge", seul et engoncé dans ses habitudes étranges que l'on découvre au fil de l'intrigue extrêmement bien nouée. Ce clown triste, qui semble assez passif, ne se donnera pas la mort avant d'avoir bouleversé le réveillon d'une certaine Sansan, dont nous ne savons rien.

Il laisse donc un message macabre sur son répondeur téléphonique, lui demandant de passer le voir avant qu'il ne se suicide enfin.

Et Sansan, déboule dans sa vie ! Une tornade d'émotions déguisée en poulpe disco. Nathalie Comtat, incarne cette fêtarde invétérée qui a "hésité", quand même, avant de venir puis, "dans le doute", et surtout poussée par ses copains de fiesta, la voilà... Elle est aussi éruptive et chaotique que l'employé falot et déprimé est en sous-régime, résigné. 

Si on a très rapidement l'intuition que ce concentré vital est à lui seul une raison pour rendre à Antoine son goût de vivre, reste en revanche une sorte d'intrigue à dénouer lentement, au fil de la soirée, au rythme des confessions du clown blanc qui mène le bal et des fulgurances, rares de Sansan, dont l'esprit est de plus en plus embrumé par le champagne. 

Sansan est-elle l'objet d'une plaisanterie ? Cet appel au secours est-il un piège ? Qui est exactement Sansan ? Sa vie est-elle aussi fabuleuse qu'elle en a l'air ? Et cet Antoine, d'où tient-il toutes ces informations sur elle ?

Pas de spoiler ici. Avec un peu de chance, vous pourrez voir "meilleurs vœux (ou presque)" l'année prochaine. Je vous le souhaite!



Ce qui séduit dans le spectacle, ce n'est pas seulement la pièce, qui nous permet de rire de sujets sensibles comme le suicide, la solitude. C'est la synergie toujours renouvelée du duo Comtat/Douau.

En jouant avec cette dualité glace/feu, clown Auguste, clown/blanc, ils nous emportent dans les délires d'Antoine qui n'est pas aussi innocent qu'il paraît malgré l'ennui abyssal qui l'habite, et Sansan, jeune femme qui se révèle bien moins superficielle qu'il n'y parait.

La mise en scène n'abuse pas d'effets inutiles, le décor est simple mais signifiant, la scénographie est au service des personnages autant que de l'intrigue. Chaque année l'ensemble se bonifie et gagne en acuité. Car la compagnie du nouveau monde n'attend pas que le public vienne à elle, et propose avec chacun de ses spectacles un art à la fois modeste et ambitieux, en nous invitant à entrer dans des pièces accessibles mais profondes.  "Meilleurs vœux" est une pièce qui fait un écrin à Nathalie Comtat, une comédienne polymorphe qui passe du rire aux larmes comme si sa vie en dépendait. Le rôle d'Antoine, en contrepoint, se révèle peu à peu comme "un caillou dans la chaussure" de Sansan. Au fur à mesure que l'on découvre les failles et petites mesquineries d'Antoine, on découvre aussi la grandeur de Sansan, sa pudeur. Olivier Douau joue parfaitement ce petit diablotin du destin qui se dévoile en artisan démiurge sans perdre sa bouille attendrissante... Tout en laissant à sa partenaire la place principale dans ce turbulent tango de comédiens, il s'immisce en tissant un personnage ambigu comme on peut l'être tous dès qu'il s'agit d'obtenir quelque chose que l'on désire ardemment. Il est le porteur d'humour noir, elle est la porteuse d'une flamme que le champagne va transformer en incendie le temps d'une soirée...

Rendez-vous l'année prochaine.....si tout va bien !


Crédit photo : La compagnie du nouveau monde et partenaires



lundi 18 décembre 2023

Un soir de décembre dans la petite maison du grand clown solitaire : Charly Lanthier à l'Archipel

 La petite histoire d’un homme trop grand est un solo de clown contemporain qui convoque une certaine nostalgie

.

En effet, si l’esthétique (inspirée par voyage de Charly Lanthiez en Croatie d'après guerre, il y sept ans) peut nous rappeler celle d’un passé lointain en France ou celle de certains pays de l’Est,  l’histoire, elle, est très contemporaine, même atemporelle, puisqu’elle nous parle des turbulences émotionnelles d’un personnage attachant qui prend les traits d’un géant qui habite une maison en ruines et nous raconte sa difficulté à garder ses amis en vie…


Ne nous y trompons pas, ce n’est pas un énième discours sur les actualités. Lorsqu’on questionne l’artiste sur ses intentions, ce n’est pas de la guerre qu’il souhaite parler en premier lieu. Pour lui, la guerre qui est figurée ici, est une guerre intérieure, que nous devons tous mener afin de ne pas encombrer le monde de brutalité. Cet enfant trop grand est peut-être un adulte qui a gardé son âme d’enfant, et, en tous cas, selon les dires même de l’auteur et interprète, sa taille, immense,  c’est celle des sentiments. Il ressent tout trop fort, tellement fort, qu’il peut écraser sans le vouloir tous ceux qu’il aime.


Voilà pour nous, spectateurs, une invitation typique de la liberté que nous offrent les clowns de nous laisser submerger par notre imagination, quitte à projeter sur les propositions de Charly Lanthiez les métaphores qui nous sont propres et témoignent de nos inquiétudes. En effet, l’un pourra y voir un paysage de guerre, un autre y verra le dessin d’une enfance brisée, une autre le merveilleux auquel on accède quand on sait rester un esprit simple, on peut aussi y voir un travail poétique sur le travail de deuil ou la nécessité de se raconter des histoires, dans un monde mal taillé pour les personnalités hors-normes.





L’histoire se dessine à travers les itérations du langage propres au personnage qui a un mal fou à entrer dans sa propre maison, tant la porte de celle-ci résiste à sa démesure !

En effet, la clef du monde de cet enfant géant écrasé de solitude, c’est ce souvenir d’un temps d’insouciance quand sa mère s’occupait de lui, et lui préparait une soupe au lait. Ce souvenir, ritournelle réinterprétée en permanence, se fait tantôt souvenir mélancolique, tantôt blague, tantôt porte ouverte vers l’autre, puisque ce tendre géant n’a de cesse de se faire des amis, copinant avec quelques spectateurs, tout en les prévenant du risque qu’ils encourent…


Le décors est très réussi, très astucieux et pourtant simple. Tout repose sur deux ouvertures/fermetures : la grande fenêtre ronde qui donne sur l’extérieur, à gauche, et donc sur le danger possible, la porte, trop petite, qui permet de visualiser très vite la dimension “géante” du clown. Une vieille cuisinière à charbon ou à bois est aussi d’importance. C’est sur elle que la maman faisait la soupe au lait . C’est le feu de la mère, la chaleur et….Vous verrez….

La lumière est très importante, toujours pauvre, donnant une ambiance à la Dickens, proche aussi parfois du conte.

Quant aux accessoires et costumes, là aussi ils comptent pour beaucoup dans cet univers un peu trash et poétique qui nous happe. De grandes oreilles, une redingote du 19ème toute empoussiéré, un casque de soldat un peu vert de gris…Un pantalon déchiré qui laisse apparaitre les pieds nus de ce pauvre hère qui ne se plaint jamais et tente au contraire de nous séduire, de nous raconter des blagues et même de nous protéger d’un certain Serge, qui, tel Godot, ne se montre jamais !

Lorsqu’on a la chance de rencontrer l’interprète, on mesure tout le travail de construction de son personnage !

Il s’est totalement fondu dans le cœur de ce géant abîmé, presque une gueule cassée, et désespérément seul ! La magie opère : nous avons voyagé dans une dimension supérieure du sensible !





Quand on regarde le parcours de la compagnie du U, qu’il s’agisse d’un tour du monde à vélo, d’une tournée de duo de clowns en Took-took au Vietnam, ou de leur appétence pour l’humain fragile ( ils sont clowns d'hôpital) et toute l’attention que ses membres portent à la différence en tant que richesse, on comprend que les chemins faciles ne les intéressent guère mais qu’ils prendront soin de nous permettre d’appréhender les sujets les plus complexes de façon fine, douce et poétique.


Ce solo de clown peut être vu par des humains sensibles âgés de 8 à 108 ans !

Que le clown soit avec vous en cette saison de fêtes de fin d’année !









La petite histoire d’un homme trop grand

Teaser

70 minutes à partir de 8 ans

Compagnie du U

Interprète: Charly Lanthiez

MES: Joris Carré

Première de presse le 17 décembre :Théâtre de l’Archipel

AP: Dominique Lhotte

Décors: JL Dalloz

Son: Julien Boé

NB : crédit photo 1 et 2 : Dominique Lhotte /Photo 3 : Compagnie du U




Mephisto Valse/Plus qu'un exercice de style "pour rire" : le 21ème siècle en alexandrins

 Méphisto Vu au théâtre de l'étincelle La délicieuse surprise où l'histoire du talent des voisins.... Je ne vous mentirai pas : les ...