mardi 2 juillet 2024

Ita L. née Goldfeld


Vu au théâtre de l'Oriflamme


C'est l'histoire d'une femme foudroyée deux fois par l'histoire. D'abord au début du XXème siècle, parce que juive elle a du fuir les pogrom. Elle aurait pu aller ailleurs, mais elle a suivi Salomon, son époux, en France, le pays de la liberté. 

Salomon n'est plus là mais sa photo tient compagnie à Ita. Nous la retrouvons en 1942 et la tête nous tourne : Ita ne réalise pas ce qui est en train de se passer. Elle s'accroche à ce sentiment de sécurité qui lui a permis de se faire "une vie française" avec des enfants qui sont de "vrais français".... Elle ne donne pas foi aux bruits qui courent, aux rumeurs qui disent que l'on met les gens dans les trains pour aller vers la mort....Elle se refuse à la peur. Pourtant, ces voisins, si gentils , qui les avaient tant aidés lorsqu'elle et Salomon sont arrivés rue du Petit Musc, et bien ces voisins sont devenus de plus en plus distants, pourquoi ? 

Rescapée d'Odessa, elle a cru être arrivée enfin dans un pays clément duquel tout danger était écarté pour elle et les siens. Son mari était si heureux d'être en France, si reconnaissant de servir ce pays pendant la guerre. Pourtant jamais il ne s'en était remis. Mais il pensait que la France méritait son sacrifice. Pensez donc, un pays où il pouvait enfin être en sécurité !

Des années plus tard, Ita, qui n'a pas encore soixante dix ans, vit seule rue du Petit Musc à Paris. Elle n'est jamais allée beaucoup plus loin , venir d'Odessa à Paris, pour fuir les persécutions, c'était son grand voyage. Et voilà qu'aujourd'hui on frappe à sa porte. Deux hommes en habits sombres. Son fils a été arrêté ! Mais pourquoi ? Il n'a rien fait !

Dans la tête de cette femme, c'est incompréhensible. L'idée qu'elle se fait de la France, ce pays où elle a trouvé la dignité et la liberté, où elle a élevé des enfants français, qui ont marché droit, qui ont réussi, se heurte à la sombre réalité de la seconde guerre mondiale et du cauchemar qui recommence. Elle porte sagement son étoile jaune brodée sur ce manteau d'astrakan que son fils lui a offert. Elle ne sent pas l'horreur qui s'installe ou peut-être ne veut pas y croire.

Aveuglée par sa reconnaissance pour le pays des droits de l'homme qui l'a accueillie quand elle fuyait, elle s'interroge sur ce qu'un des hommes lui a dit : Madame, on viendra vous chercher dans une heure. Une heure. Utilisez bien cette heure.

Elle sort sa valise.

Cette heure au tocsin de l'absurdité sordide qui gangrène le pays, c'est celle que nous passerons nous, spectateurs, avec Ita, une femme simple et bonne à qui une fois de plus tout va être enlevé. Quelle décision va-t-elle prendre ? Attendre qu'on vienne la chercher, ou tenter de fuir ? 

Va-t-elle prendre sa valise, qu'elle remplit devant nous, et saisir un mince chance de fuir, ou va-t-elle attendre qu'on vienne la chercher. Sa sidération devient la notre au fur et à mesure qu'elle égrenne ses souvenirs. C'est comme si elle devenait un membre de notre famille ..... Ita L. née Goldfeld, deux fois touchée par la foudre de la sale Histoire parce que juive.

Françoise Nahon nous prend aux trippes en incarnant cette femme dont le désir d'espérer est sans fin. Elle fait apparaître Ita par petites touches subtiles sans débauche d'effets. La mise en scène est sobre, dans un petit appartement simple, rue du Petit Musc, ici une ménorah, là une photo du défunt mari, de vieux meubles qu'on devine soignement cirés, un domicile où Ita a recrée son bonheur loin de son Odessa, un lieu où elle se sentait en sécurité sans doute. Le metteur en scène, Patrick  Zeff-Samet, dit que bien qu'il ne soit pas spécialement mystique, c'est Ita elle-même qui l'a guidé dans cette mise en scène... 

Oui. Ita elle même.

Car cette pièce, c'est la véritable histoire de Ita L. née Goldfeld, la grand-mère de l'auteur de la pièce. La grand mère d' Eric Zanetacci.

Bien sûr c'est une pièce poignante qui nous rappelle des temps sombres, bien sûr, on tremble pour Ita et toutes les Ita du monde. Mais on fait aussi un voyage dans l'histoire intime d'une femme qui fait un choix : fuir ou renoncer, espérer ou désespérer. L'histoire, tragique, est-elle amenée à se répéter sans cesse ? Doit-on choisir d'espérer où baisser les bras ? Qu'aurions nous fait à sa place ?

Une pièce magnifique à tous les niveaux : jeu, scénographie, écriture.

Il faut passer dans sa vie au moins une heure avec Ita L. née Goldfeld.


Dates : Du 3 au 21 juillet Relâche le lundi
Horaires : 17h30
Durée : 1h10
Lieu : Théâtre de l’Oriflamme
Genre : Seule en scène
Distribution : Texte d'Éric Zanettacci MES Patrick Zeff Samet Avec Françoise Nahon

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