lundi 8 juillet 2024

Femme Non rééducable

 Femme non rééducable





Anna Politkovskaia, journaliste russe, mère de deux enfants voulait écrire ce qu'elle avait vu sur le front tchtechène. Les exactions russes, la violence niée.

Elle n'entendait pas prendre parti, elle entendait faire savoir ce qu'elle avait constaté de ses yeux, au cours de ses enquêtes de terrain et de ses entretiens.

Le 7 octobre 2006 son corps fut retrouvé, sans vie, dans la cage d'escalier de son immeuble. Une arme typique près de son corps, signant l'intervention du pouvoir russe.

C'est de son histoire, de ses écrits, que le dramature italien Stefano Massini s'est inspiré pour écrire cette pièce.




Anna Politkovskaia

Il s'agit d'une pièce écrite pour deux personnages à partir de faits réels mais aussi des notes de la journalistes prises lors de ses enquêtes et entretiens.

Deux personnages : Une journaliste, Anna Politkovskaïa, et un homme, qui sera à lui seul tous les interlocuteurs ennemis, du bourreau par défaut, au chef de guerre mégalomane.Il représente, ce personnage,l'adversité aveugle autant que les ennemis identifiés.

Anna, donc, et un homme qui, lui, joue tous ses interlocuteurs au cours de ses enquêtes.

Anna est interprétée ici par l'excellente Caroline Rochefort, comédienne remarquée notamment dans le rôle de Violette, soit un tout autre registre, à savoir la pièce inspirée du roman  très plébiscité "Changer l'eau des fleurs".

C'est Pierre Berçot qui joue tous les autres rôles et qui est en permanence au plateau avec Caroline Rochefort. 

Déjà, ce choix de mise en scène inonde de sens et de logique l'enchainement des événements et la droiture de la journaliste.

Le personnage joué par pierre Berçot, tantôt bourreau, tantôt homme politique, acteur d'une série de propagande et encore plus, rend concrète et charnelle, physique, toute l'adversité à laquelle Anna Politkovskaia a du faire face durant sa courte vie, pour faire ses investigations de terrain, en vraie journaliste.

Caroline Rochefort campe une femme forte que les menaces ne font jamais flancher. Elle a peur, elle doute, mais elle y va. C'est bien une femme, une mère que nous voyons sur scène. Avec ses doutes,ses réflexions, sa sidération face à la censure et l'absurdité. 

Si nous la voyons, nous, comme une héroïne, ce n'est probablement pas ainsi qu'elle se voyait elle-même.

La mise en scène et les trouvailles et l'inventivité des acteurs montrent cet aspect de la femme , stable, inflexible, qui persévère et ne se rend pas, même lorsqu'elle comprend la menace, l'épée de Damocles qui pèse au dessus de sa tête: femme "non rééducable" c'est à dire avec une cible sur le front.

Quant à Pierre Berçot, il excelle véritablement à incarner l'homme de l'Est,y compris en parlant parfois russe. Il a cette silhouette agile de soldat surentraîné, survirilisé,et cette capacité à tirer parfois jusqu'au grotesque cette propagande mise en scène et la mégalomanie des chefs de Guerre que dénonçait Anna.

Quelques scènes d'anthologie , comme l'enlèvement d'Anna, nous font froid dans le dos, tant elles sont réalistes et d'autres, tel ce moment de télévision, avec l'écran qui devient pur cadre, tantôt arme, tantôt caricature de brutalité et autres démonstrations de force caricaturales.

Tadrina Hocking sait aborder l'indicible sans tomber dans le pathos et une fois encore,son travail fait merveille, servant le propos double : la liberté de la presse toujours en danger et l'hommage rendu à cette femme hors du commun. On ne ressort pas de ce spectacle essoré par l'horreur, mais plutôt reconnaissant envers Anna Politkovskaïa. et réveillés, s'il est besoin, par une saine colère de résistance.

Que vous connaissiez ou non l'histoire de Anna dans sa totalité, cette histoire saura vous toucher en plein cœur et amener de nouvelles pistes de réflexion sur l'engagement, le journalisme, notamment.

C'est aussi une tragédie qui vaut pour elle-même, par la qualité de l'interprétation et la richesse de sa mise en scène.

A partir de 14 ans, vous pouvez y aller en famille, c'est un très bon prétexte pour débattre d'un tas de sujets : 

la vérité, la guerre, l'information, la censure, la violence légitime, et j'en oublie...

Ce serait salutaire qu'à la rentrée de nombreux lycéens aient la chance de voir cette pièce, dans cette version, qui rend abordable nombre de passages très âpres de la pièce originale de Stéfano Massini.

Quant à la figure d'Anna Politkovskaia, son éthique journalistique autant que citoyenne, la violence à laquelle elle a fait face aussi parce que femme, voilà une figure de l'histoire contemporaine que nous n'oublierons pas de sitôt.

Vive le théâtre.

C'est peu dire que c'est une pièce que je recommande vivement.

Adeline Avril


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