samedi 6 juillet 2024

Madame Bovary en plus court et plus drôle

 Madame Bovary en plus court et plus drôle





Qui aime bien châtie bien !

J'ai eu la chance d'interviewer Camille et Marion, les heureuses mamans de ce petit joyau d'irrévérence et d'amour pour la littérature ! J'ai ainsi découvert deux passionnées avides de partager à travers l'humour et l'anachronisme élevé au rang des beaux arts, ce classique de la littérature qui a traumatisé tant de lycéens et de lycéennes. Elles en font d'ailleurs partie !

Mais voilà, quand on relit ce chef d'oeuvre, plus tard, notamment à l'aune de la condition des femmes, on y trouve des trésors, surtout lorsqu'on est capable de s'en moquer !

Ainsi, Camille et Marion, comédiennes extraordinaires d'expressivité, de drôlerie et d'inventivité, se sont attelées à écrire cette pièce qui est un cadeau pour tous, au final : les flaubertiens, les anti-flaubertiens, les lecteurs, les non lecteurs, les bovaristes, les filles, les garçons et les autres ! Même ceux qui "ont préféré le film". Et il faut bien avouer qu'après avoir ri à s'en faire mal au ventre, on est ainsi récompensé.e.s de notre impudence par le fait d'en sortir moins con que lorsqu'on est rentré.e.s !

Car en plus de la vision propre au pastiche quand il est bien fait comme c'est le cas ici, on bénéficie de la singularité de ce regard croisé des deux comédiennes dont on devine que leurs synapses fonctionnent à vitesse grand V. Leurs jeux et leurs personnalités se complètent de façon incroyable et quand l'une représente Emma, l'autre le mari ou l'amant, on dirait de l'improvisation !

Pourtant c'est une pièce écrite et très bien écrite, documentée, d'où mon admiration sans borne.

C'est une pièce à savourer en groupe ou en solitaire, en famille aussi, en tous cas je la recommande dès l'âge du collège et du lycée !

A vos risques et périls toutefois : l'exemplaire poussiéreux de Madame Bovary que vous aviez oublié dans un coin de votre bibliothèque pourrait bien devenir soudain follement sexy et attirant pour plusieurs membres de votre famille !

Adeline Avril

Au théâtre des Célestins

Dates : du 3 au 21 juillet pas de relâche
Horaires : 11h30
Durée : 1h15
Lieu : Théâtre des Corps Saints
Genre : Classique révision duo humour
Distribution : de et avec Camille Broquet et Marion Pouvreau mes Decesari

jeudi 4 juillet 2024

Le Menteur

 Le menteur, Corneille revisité et revigoré par Marion Bierry

Vu au théâtre du Girasole /crédit photo : Le Girasole

Dorante n'est pas dom juan, mais son petit coeur s'enflamme rapidement. Sa capacité à réver tout haut et conter des sornettes afin de se sortir de situations difficiles mais aussi d'enjoliver son existence quelque peu oisive ne cesse d'angoisser son suivant et chaperon Cliton. Celui-ci n'en revient pas des facilités qu'a son jeune maître à faire d'un bouillon des agapes royales. Sortant d'études à Poitiers, il s'invente un retour de militaire afin d'augmenter son panache avec un certain pragmatisme : c'est plus facile pour séduire, n'est-ce pas ?

Dorante ne ment pas par omission, il ment "en grand, par goût" et provoque un enchevêtrement de situations qui ne l'inquiètent guère.

Ce n'est pas son soucis du prochain qui l'étouffe.

Promis à Clarisse, il s'entiche d'une inconnue nommée Lucrèce qui elle-même se joue de lui. De quiproquo en quiproquo, de fables en fables se tisse un virevoltant jeu de couples dans lequel l'amoureux authentiquement attaché à Clarisse - bien qu'il ne soit que son "second choix" -  joue les victimes éconduites et captives des chimères bien ficelée de son ami Dorante, qu'il pense d'abord son rival. 

Mais Dorante ignore que sa bien-aimée Lucrèce est la meilleure amie de Clarisse, qu'elles aussi sont à la fois rivales et cousues d'amitié. C'est du Corneille, c'est en vers et ça chante à l'oreille comme tinte un ruisseau  véloce et frais. Le père de Dorante, pressé d'être grand père et de marier son fils qu'il a choyé à l'excès, se voit lui aussi tourné en bourrique par ce rejeton malicieux autant que sur de son fait. En effet, grisé par sa propre faconde, croyant dur à la naïveté des gens qu'il prend pour des poupées, Dorante ne doute jamais de lui même quand un trou de mémoire le met en difficulté dévoilant sa forfaiture.

Comme je le disais c'est du Corneille et ça chante. Les rimes ne sont jamais avalées car il ne s'agit pas dans cette version de la jouer "contemporain" mais bien au contraire d'accuser le trait et d'insister sur les diphtongues désuettes qui deviennent des motifs humoristiques et sonnent une musique rythmée. Col-la-ti-on...

Mais en plus, ça chante "pour de vrai". La voix de stentor d'Alexandre Bierry fait merveille autant que son interprétation aussi expressive que gestuelle. La distribution est une veritable dentelle   haute couture , qu'il s'agisse des deux personnages féminins, jouant quasiment la gémélléité autant que la compétition amoureuse façon "m'aime-t-il ou t'aime-t-il?". Le valet Cliton, voix de la vérité, et sans doute aussi de la sagesse bien qu'il ne manque pas de gauloiserie est extraordinaire de naturel, de même que le comédien qui interprète le père naïf et "papa poule".

Tout ceci virevolte avec une drôlerie qui confine à la virtuosité. Les comédiens, tantôt jouant les masques, maquillés comme des poupées, tantôt les silhouettes, tournoyant et s'arrêtant sur image dans une gestuelle extrêment drôle et stylisée, jouant du trois quart face complice du 4ème mur, sont d'une agilité fabuleuse. 

La scénographie elle-même joue entre tradition et modernité. Au fond, un ciel d'un bleu de beau temps se prête à toutes les saisons et les heures du jour selon les actes et l'on y voit projetées les ombres chinoises des personnages, ce qui est du plus bel effet, donnant à la mise en scène un côté surréaliste, graphique, pictural, merveilleux.

C'est une pièce de théâtre faite pour les bons vivants, les gourmands en toute choses. Je ne dévoilerai pas les astuces des épisodes musicaux à la fois fidèles à l'ambiance et anachroniques à souhait ! Avec deux grand volets pliables comme des paravents, nous voyons deux maisons dont les toits deviennent des terrasses et la jonction une sorte de boulevard ou les épisodes élyptiques se déploient. Parfois, ces pans deviennent un mur sur lequel sont exposés les personnages à travers des fenêtres qui sont autant de tableaux où s'affichent les personnages.

C'est à la fois un ballet élégant où chaque texture à sa couleur, chaque personnage sa rutilance ou sa pudique sobriété, son pas de danse sur de petites sellettes qui les présentent  comme des oeuvres d'art, les personnages qu'ils sont, puisqu'ils sont ainsi présentés dans cette farce.

Reste que le propos bien qu'écrit dans cette langue leste, croustillante, apparaît dans tout l'éclat d'une universalité évidente : qu'est-ce que ce menteur, qu'est-ce que son mensonge ? Une facilité pour manipuler les autres, un art d'agrémenter la vie qui sans cela serait bien fade ? Quelle morale trouver à cette fable ? Le menteur est bien sympathique toutefois bien qu'on lui souhaite de trouver l'amour qui le guérira de ses mauvaises manies et la leçon qui le fera grandir et passer d'enfant gâté à homme de responsabilité.

Un très beau spectacle, qui a emballé la salle pleine et soulevé un choeur d'applaudissements sans retenue. Du plaisir, de l'esprit, de la culture, du rire et de la joie. Merci Corneille, Merci Marion Bierry. Nous souhaitons à nos amis, qu'ils goûtent de ce flacon là !

Pour tout âge et toute sensibilité, un régal.

Adeline Avril

Genre : Classique

Horaire:11H45

Durée: 1H30

Distribution : Alexandre BIERRY,  Benjamin BOYER,  Brice HILLAIRET,  Marion LAHMER,  Serge NOEL,  Mathilde RIEY ou Maud FORGET

Mise en scène : Marion BIERRY

Assistant mise en scène : Denis LEMAITRE

Décor : Nicolas SIRE

Adaptation : Marion BIERRY

Costumes : Virginie HOUDINIERE,  Virginie H.

Création lumière : Laurent CASTAINGT

Infos et réservations

Guichet : 24 bis, rue Guillaume Puy 84000 Avignon
Tél. location : 04 90 82 74 42

mardi 2 juillet 2024

1984 : une expérience inédite sinon interdite

1984 en 2024



Vu au théâtre de l'Oulle (La Factory)


Le Collectif 8 a une spécialité dont je m'étonne qu'elle ne soit pas plus répandue : c'est une compagnie qui mêle numérique et théâtre. On ne s'étonnera pas qu'une compagnie ainsi à l'avangarde se soucie de trouver des pièces à la hauteur du défi qu'elle s'impose. Ainsi, 1984, dystopie avant l'heure, critique d'un temps que nous n'avons pas connu, est un spectacle qui s'attache à la fois à mettre en valeur un chef d'oeuvre de la littérature, à l'adapter au format théâtre, mais aussi, par le biais des ingéniéries artistico-digitales, de mettre en avant tout ce qui ressort de problématiques actuelles.

La forme sert le fond qui sert la forme qui sert le fond et ainsi de suite.

Deux regards sont prégnants et s'enroulent, spiralant la narration en volume : l'un s'attache à la dénonciation des mécanismes du totalitarisme en jouant de l'horreur jusqu'à l'absurde, à travers la peinture d'un monde qui décide ce qui est vérité et ce qui ne l'est pas, mais aussi à travers la mise en place d'une machination qui prétend détecter les "rebelles", l'autre nous amène à constater les effets dudit totalitarisme sur les individus, à travers l'histoire d'amour qui unit les deux protagonistes. Gaële Boghossian a travaillé à l'adaptation de l'oeuvre en choisissant des parties du texte qui amènent à saisir l'ensemble de 1984 -le livre- sans le développer jusque dans les détails sans toutefois dénaturer l'original. Elle a recréé une dramaturgie en tissant l'intime et l'universel sans trahir la trame initiale. Alors que d'autres compagnies ont choisi de multiplier les personnages, elle concentre toute l'intrigue sur 3 individus sans trahir l'essence du roman ni de la réflexion qu'il propose. Elle en extrait en quelque sorte la substantifique moelle.

Son comparse, Paulo Correia à la fois acteur et spécialiste du digital a lui, créé techniquement l'univers passé au tamis de la vision de la metteuse en scène.

Ainsi, à aucun moment un acteur n'est remplacé par une vidéo ou un hologramme, sur la scène, cela reste du théâtre au sens d'art vivant. Les dispositifs scéniques sont plutôt là pour approfondir le champ et nous permettre d'accéder aux avantages d'une réalité vicariante sans nous déposséder de la chair, de la peau, de l'os. 

Ce sont donc trois comédiens qui interprètent les 3 personnages. Ils sont captifs d'une sorte d'installation technique dont les ressorts sont imperceptibles mais les effets spectaculaires, puisque nous les voyons évoluer dans une sorte de lieu où ni le temps ni l'espace ne semblent être des axes pertinents pour suivre l'intrigue.

Entourés de colonnes de données à la façon de Matrix et de toute représentation de ce qui peut s'apparenter à un "Big Brother" contemporain, ils errent dans un monde qui s'acharne à leur faire perdre tout repère. Un monde de doute anxyogène et d'insécurité qui les empêche de stratégiser leur envol....

Et ils nous entrainent dans leur vertige.

Ce sont eux qui ont toute notre attention. Car c'est bien à eux, du moins l'homme et la femme manipulés par l'homme qui les surplombe, que nous nous identifions dans ce monde ou d'une seconde à l'autre, le bureau de la vérité doit réviser le récit sociétal. Tel jour on est en guerre contre l'est, tel jour contre l'ouest, et le nombre de doigts montrés sur une main dépend de critères variables qu'aucun personnage ne peut jamais maitriser. 

L'amour, l'attirance, la sexualité, l'enfantement ont-ils une place dans un tel monde ?

Des questions que certains se posent encore aujourd'hui. 

C'est bien évidemment un univers inquiétant, une pièce qui traite son sujet frontalement. Si l'esthétique, jouant sur le contraste violant du bleu et du rouge, est soignée et n'est pas sans créer de beaux moments de poésie pure -lorsqu'il s'agit d'évoquer l'amour à contresens de l'autorité-, derrière une pluie de coquelicots, ce sont les vidéos de destruction guerrière qui triomphent dans notre esprit inquiet. Ce n'est pas une histoire qui finit bien, ce n'est pas sa vocation.

Saluons ce travail complexe et collectif qui nous permet d'aborder le chef d'oeuvre de dystopie que fut en son temps 1984, sa dimension à la fois romanesque, philosophique et politique, d'une façon tout à fait singulière et inédite, avec les outils de notre temps. Certes il nous faut déplacer le curseur historique et faire notre le questionnement qui n'est plus seulement celui d'Orwell mais celui, durable, d'un humanité qui n'atteint jamais l'homéostasie ni la paix entière et durable et se voit toujours menacée par une forme de totalitarisme qui change de visage et de nom au point de devenir parfois méconnaissable, voire invisible à l'oeil nu. L'art est alors cette loupe qui remet à notre porté les signes faibles, les changements qui adviennent.

C'est une expérience inédite que la qualité de la scénographie, de la lumière, du jeu des comédiens, nous permet d'aborder sans trahir les exigences d'un public affamé à la fois de fond et de forme, d'art vivant et d'innovation disruptive.

C'est un spectacle ambitieux mais accessible. N'hésitez pas à amener vos adolescents avec vous, même s'ils n'ont pas encore lu le livre. Ce regard pluridisplinaire pourrait bien les convaincre qu'un livre c'est beaucoup plus qu'un livre, et qu'une scène de théâtre est une dimension qu'on peut dilater à l'infini.

Un conseil, mettez vous dans le fond, pour profiter au mieux de l'expérience. De plus sachez que ce spectacle comprend des effets stroboscopiques et lumineux , mais aussi  des fréquences et des variations de volume sonore importants.


Au théâtre de l'Oulle. 

17h10 Relâche les mardis

Genre :Théâtre numérique

Adaptation , Mise en scène et Costumes : Gaële Boghossian

Création vidéo : Paulo Correia

Avec : Paulo Correia, Damien Rémy et Judith Rutkowski

Musique : Benoit Berrou

Lumières : Tiphaine Bureau

Scénographie : Collectif 8

Crédits photo : collectif 8

Collectif 8

site du collectif 8

Billeterie de la Factory/ théâtre de l'Oulle

billeterie théâtre

Programme du festival Off , la page de 1984

lien programme off





   


Ita L. née Goldfeld


Vu au théâtre de l'Oriflamme


C'est l'histoire d'une femme foudroyée deux fois par l'histoire. D'abord au début du XXème siècle, parce que juive elle a du fuir les pogrom. Elle aurait pu aller ailleurs, mais elle a suivi Salomon, son époux, en France, le pays de la liberté. 

Salomon n'est plus là mais sa photo tient compagnie à Ita. Nous la retrouvons en 1942 et la tête nous tourne : Ita ne réalise pas ce qui est en train de se passer. Elle s'accroche à ce sentiment de sécurité qui lui a permis de se faire "une vie française" avec des enfants qui sont de "vrais français".... Elle ne donne pas foi aux bruits qui courent, aux rumeurs qui disent que l'on met les gens dans les trains pour aller vers la mort....Elle se refuse à la peur. Pourtant, ces voisins, si gentils , qui les avaient tant aidés lorsqu'elle et Salomon sont arrivés rue du Petit Musc, et bien ces voisins sont devenus de plus en plus distants, pourquoi ? 

Rescapée d'Odessa, elle a cru être arrivée enfin dans un pays clément duquel tout danger était écarté pour elle et les siens. Son mari était si heureux d'être en France, si reconnaissant de servir ce pays pendant la guerre. Pourtant jamais il ne s'en était remis. Mais il pensait que la France méritait son sacrifice. Pensez donc, un pays où il pouvait enfin être en sécurité !

Des années plus tard, Ita, qui n'a pas encore soixante dix ans, vit seule rue du Petit Musc à Paris. Elle n'est jamais allée beaucoup plus loin , venir d'Odessa à Paris, pour fuir les persécutions, c'était son grand voyage. Et voilà qu'aujourd'hui on frappe à sa porte. Deux hommes en habits sombres. Son fils a été arrêté ! Mais pourquoi ? Il n'a rien fait !

Dans la tête de cette femme, c'est incompréhensible. L'idée qu'elle se fait de la France, ce pays où elle a trouvé la dignité et la liberté, où elle a élevé des enfants français, qui ont marché droit, qui ont réussi, se heurte à la sombre réalité de la seconde guerre mondiale et du cauchemar qui recommence. Elle porte sagement son étoile jaune brodée sur ce manteau d'astrakan que son fils lui a offert. Elle ne sent pas l'horreur qui s'installe ou peut-être ne veut pas y croire.

Aveuglée par sa reconnaissance pour le pays des droits de l'homme qui l'a accueillie quand elle fuyait, elle s'interroge sur ce qu'un des hommes lui a dit : Madame, on viendra vous chercher dans une heure. Une heure. Utilisez bien cette heure.

Elle sort sa valise.

Cette heure au tocsin de l'absurdité sordide qui gangrène le pays, c'est celle que nous passerons nous, spectateurs, avec Ita, une femme simple et bonne à qui une fois de plus tout va être enlevé. Quelle décision va-t-elle prendre ? Attendre qu'on vienne la chercher, ou tenter de fuir ? 

Va-t-elle prendre sa valise, qu'elle remplit devant nous, et saisir un mince chance de fuir, ou va-t-elle attendre qu'on vienne la chercher. Sa sidération devient la notre au fur et à mesure qu'elle égrenne ses souvenirs. C'est comme si elle devenait un membre de notre famille ..... Ita L. née Goldfeld, deux fois touchée par la foudre de la sale Histoire parce que juive.

Françoise Nahon nous prend aux trippes en incarnant cette femme dont le désir d'espérer est sans fin. Elle fait apparaître Ita par petites touches subtiles sans débauche d'effets. La mise en scène est sobre, dans un petit appartement simple, rue du Petit Musc, ici une ménorah, là une photo du défunt mari, de vieux meubles qu'on devine soignement cirés, un domicile où Ita a recrée son bonheur loin de son Odessa, un lieu où elle se sentait en sécurité sans doute. Le metteur en scène, Patrick  Zeff-Samet, dit que bien qu'il ne soit pas spécialement mystique, c'est Ita elle-même qui l'a guidé dans cette mise en scène... 

Oui. Ita elle même.

Car cette pièce, c'est la véritable histoire de Ita L. née Goldfeld, la grand-mère de l'auteur de la pièce. La grand mère d' Eric Zanetacci.

Bien sûr c'est une pièce poignante qui nous rappelle des temps sombres, bien sûr, on tremble pour Ita et toutes les Ita du monde. Mais on fait aussi un voyage dans l'histoire intime d'une femme qui fait un choix : fuir ou renoncer, espérer ou désespérer. L'histoire, tragique, est-elle amenée à se répéter sans cesse ? Doit-on choisir d'espérer où baisser les bras ? Qu'aurions nous fait à sa place ?

Une pièce magnifique à tous les niveaux : jeu, scénographie, écriture.

Il faut passer dans sa vie au moins une heure avec Ita L. née Goldfeld.


Dates : Du 3 au 21 juillet Relâche le lundi
Horaires : 17h30
Durée : 1h10
Lieu : Théâtre de l’Oriflamme
Genre : Seule en scène
Distribution : Texte d'Éric Zanettacci MES Patrick Zeff Samet Avec Françoise Nahon

Lien pour réserver

jeudi 27 juin 2024

La pleurante des rues de prague


Critique parue sur www.raje.fr pour le off 2023


La pleurante des rues de Prague





Photo : Geneviève Allène-Dewulf 


Claire Ruppli est une habituée des défis sans facilité. Elle le prouve ici encore en nous offrant une performance à partir du texte mystérieux autant que poétique de l’auteure Sylvie Germain, une de ces rares écrivaines à qui les mots complexes autant que les phrases ouvragées ne font pas peur. Il y est question de mémoire, de noirceur, mais , telle une forme lumineuse de Golem,  il y a la pleurante, pour porter les fardeaux d’un passé qui résonnne encore, une apparition qui rappelle et retisse les déchirures.

 

La pleurante de Prague, c’est une apparition propre à l’auteure, une fulgurance qui l’a percutée alors qu’elle enseignait dans cette Ville. Une allégorie de cette cité à la fois maculée de sang, de sueur, des horreurs de l’histoire et nimbée d’or. L’auteur, dans ce texte, nous raconte onze apparitions troublantes qu’elle a vues ou imaginées -qu’importe- dans la Prague des destins foudroyés, réclammant une renaissance.

 

Ce texte envoutant est une gageure à porter en bouche pour une comédienne. Car si la phraséologie est ennivrante,à lire et à écouter,  c’est autre chose de l’incarner et d’incarner, cette géante claudiquante, ce cygne devenu fou de vie, oui fou de vie, heureux d’appartenir au monde des vivants (l’une des plus belles apparitions) de prêter son souffle à l’auteur autant qu’à la pleurante qui s’invite dans le livre. Car leur livre ce soir c’est notre propre expérience et nous allons être traversés.

 

Sans fioriture et pourtant avec la magie des contes slaves comme des mythes yiddish, la comédienne est accompagnée dans ce voyage halluciné par la compagne porteuse de lumière.

 

Elle nous a offert cette pleurante de tout son âme et de tout son corps et nous voilà augmentés, augmentés de cette allégorie de l’histoire honteuse comme de celle du désir de renaissance , du désir de remplacer les restes putrides d’un passé tragique par la bonté d’un femme absolution, tantôt transparente, tantôt rêche, mais toujours claudiquante. D’être ouvert à la possibilité d’une apparition douloureuse mais rédemptrice.

 

Ne craignez pas ce spectacle pour sa dureté, car ce n’est en rien une partie de larmes mais une moment de mémoire partagée qui nous rappelle que faisons partie d’un tout. Et puis nous profitons aussi de la danse de ce cygne saoul de vie, traversant la pleurante. Une des apparitions les plus extraordinaires du livre.

 

En adaptant le récit de Sylvie Germain, Claire Ruppli a pris soin de respecter l’oeuvre tout en la rendant audible par quelques coupes subtiles. 

 

Un très beau spectacle, à voir et ressentir, placé  au delà du schéma narratif et pourtant d’une fluidité presque dansée, une expérience égoiste et oblative à la fois.

Adeline Avril



LA PLEURANTE DES RUES DE PRAGUE


Durée : 1h
du 7 au 29 juillet - Relâches : 9, 16, 23 juillet

à 11h20 VENTS (THÉÂTRE DES)

Résumé du spectacle

REPRISE / SUCCÈS AVIGNON 2009
Une géante, au pied clochant, semeuse de visions, apparaît dans les rues de Prague. Elle est le temps, la mémoire de la ville, celle des victimes inconnues, des enfants de Terezin, de Bruno Schulz, de nos disparus. Elle porte les larmes des vivants et des morts. Elle fait resurgir le visible dans l’invisible. Cette pleurante est « plurielle, elle n’a pas de visage ». Elle est hasard, chance, poésie, pitié, beauté.
De ces mots qui traduisent la langue de l’âme, de ces silences qui nous rappellent être en vie, naît l’évidence de rejouer ce texte...
Texte de Sylvie Germain © Editions Gallimard (1991)

Presse

Dolto : lorsque Françoise paraît

 

RAJE FAIT SON FESTIVAL /// ADELINE AVRIL VOUS PARLE DE "LORSQUE FRANÇOISE PARAÎT" OFF2022

Texte paru sur www.raje.fr



Dolto – Lorsque Françoise paraît – Atelier Théâtre Actuel à Avignon (theatre-actuel-avignon.com)

 OFF 2022

Dolto - lorsque françoise paraît

Durée : 1h20
Jusqu'au 30 juillet - Relâches : 25 juillet

à 16h50

 

Auteur

Éric Bu


Interprètes / Intervenants

 

  • Mise en scène : Éric Bu

  • Interprète(s) : Sophie Forte, Christine Gagnepain, Stéphane Giletta

  • Décors : Aurélien Maillé

  • Costumes : Julia Allègre

  • Lumières : Cécile Trelluyer

  • Création sonore : Pierre-Antoine Durand

  • Chorégraphies : Florentine Houdinière

  • Assistante mes : Sophie Bouteiller

  • Crédit photo : théâtre actuel



 

Cette pièce a déjà connu un succès fracassant. Il faut dire que Françoise Dolto, spécialiste de l’enfance et psychanalyste est connue même de ce que l’on nomme le grand public. En effet, elle a même été en quelque sorte une femme de media. Mère d’un chansonnier populaire nommé Carlos et d’une fille qui mettra ses pas dans ceux de sa mère, c’est une figure de la psychanalyse autant que de la vie des familles françaises.

 

L’on comprendra donc aisément que cette pièce, mettant en scène Françoise enfant, toujours accompagnée d’un personnage protéiforme qui est sans doute son ange gardien (et participe énormément de l’aspect jouissif et divertissant de la pièce qui aborde pourtant des sujets profonds, parfois douloureux), plaise. Car si le sujet Dolto n’a rien de glamour, le personnage qui en est tiré ici restera dans les annales. 

 

Trois comédiens incarnent tout un monde du début du vingtième siècle, notamment la famille de la petite Françoise, présentée comme une enfant très précoce et pleine d’esprit, facétieuse et mettant souvent à mal la rectitude d’une mère très conventionnelle autant que les réflexions d’une père pourtant passionné de science et ouvert sur la nouveauté.

 

Ainsi, nous découvrons sur scène, Sophie Forte, minuscule et extrêmement crédible en enfant surdouée qui déclare désirer exercer un métier qui n’existe pas encore: Docteur en éducation. Cela n’existe pas, lui rétorque -t-on.

Qu’à cela ne tienne, si ce métier n’existe pas, c’est qu’il faudra l’inventer!

 

A première vue on pourrait croire que tout tient sur les épaules de Sophie Forte seulement, et il est vrai que de bout en bout, on aimerait lui clamer notre amour. Pourtant, tout ce système judicieux d’allers et retours entre les réflexions de la petite Françoise et cette époque, ce milieu, qui lui semblent étriqués, tient aussi à la magie des deux autres comédiens qui jouent tantôt la mère, tantôt la fille pour l’une, tantôt le poste à galène (si si) tantôt le père, le fiancée et bien d’autres encore pour l’autre, dont….un certain Bernard Pivot!.

 

Le rythme de la pièce est envolé, émaillé de “mots d’enfants” qui résonnent d’une façon troublante quand on connaît l’importance que Madame Dolto aura dans son domaine. C’est aussi un personnage clivant à qui l’on a reproché d’avoir créé le phénomène de l’enfant Roi, et qui dit d'elle-même qu’à la maison, l’éducation, ce n’est pas “du Dolto dans le texte”.

 

Nous passerons directement de Dolto enfant à Dolto au soir de sa vie, Sophie Forte campe alors une Dolto en délicieuse vieille dame indigne comme on en voit dans les comédies anglaises. Ce procédé théâtral, comme l’écriture, la mise en scène et la scénographie, amènent sur scène un cirque bucolique mais dansant, montrant des possibles pistes de compréhension du phénomène Dolto en piochant dans son enfance comme dans ses divers entretiens. On se sent en proximité avec cette Dolto là, si humaine.

Ce n’est pas une pièce pédagogique, on n’est pas là pour voir un documentaire, c’est bien de théâtre qu’il s’agit, d’une création pure, d’un univers qui frôle le surréalisme dans sa facture.

Et à la fin le public se lève et pourrait continuer cette ovation encore une heure s’il ne fallait pas libérer la salle.

Adeline Avril 

mardi 25 juin 2024

Electre au 21ème siècle

 ATTENTION REPRISE DU COUP DE COEUR OFF 2023


HEUREUX LES ORPHELINS







Que vous soyez férus de mythologie ou bien de théâtre, ou bien que votre scolarité vous ait laissé “de beaux restes”, il est possible que l’histoire d’Electre et de son frère Oreste éveillent quelques souvenirs en vous.

C’est bien à ces deux là que nous avons affaire dans cette pièce, librement adaptée de Giraudoux, qui avait lui même déjà librement adapté le mythe originel. 


Mais il est inutile de réviser avant de venir voir le spectacle, qui vaut par lui même et vous tient en haleine d’un bout à l’autre!


Ainsi, au Royaume d’Argos, transformé en haut lieu de la gastronomie dont le chef et roi s’est donné la mort, nous retrouvons Clytemnestre et ses enfants , à savoir Electre l’affamée de justice et de vengeance et Oreste, son frère qui tente de continuer sa vie dans la politique, grâce aux petits arrangements du language dont il est devenu un expert auprès d’un ministre qui vous rappellera bien des hommes politiques de notre temps. Il est aussi torturé qu’Hamlet et sommé par Electre de venger son père.


L’adaptation proposée par Sébastien Bizeau est d’autant plus intéressante, que ce ne sont pas des détails qui sont actualisés mais les armes mêmes du combat. Quant à la forme, quoi de mieux pour une histoire de vengeance qu’un thriller philosophique? Pour autant, le texte de Giraudoux est adapté mais extrêmement respectueusement transmis, parfois à la lettre près.


Pourquoi la jeune Electre hait sa mère à ce point? Pourquoi ceci est-il une histoire de vengeance, alors qu’il n’y a pas d'ambiguïté sur les raisons du décès du père adoré (Agamemnon pour les intimes….)? S’il n’y a pas d’épée tranchante, comment la vengeance aura-t-elle lieu?

Comme souvent dans les meilleures enquêtes, on s'aperçoit après coup que tous les éléments se sont mis en place dès le début…Alors ouvrez l'œil et ouvrez les oreilles!


Les personnages , gravés dans l’inconscient collectif du théâtre pourraient sembler difficilement compatibles avec notre ère connectée, où les comptes se règlent sur twitter par shitstorm interposée… C’est toute l’intelligence du texte, de sa mise en scène et de son interprétation: les petits arrangements avec les morts et avec les vérités , les histoires familiales révisées, la tromperie, la jalousie, …..Franchement, peut-on dire des passions tristes et de la course au pouvoir que notre soi-disant progrès les a atténués?

L’auteur nous rappelle avec art que les mots sont si puissants qu’ils peuvent à la fois enfanter et tuer. Il y a de purs morceaux d’anthologie dans cette pièce, quand s’entremêle le jargon managérial et la communication politique. On en rit surtout parce que c’est “tellement vrai”, proche de nous, et tellement bien interprété, et pourtant, on pourrait à l’instar d’Electre, le dénoncer quitte à créer le chaos.


Chaque personnage porte sa vérité recomposée, son langage, selon son positionnement sur l’échiquier. Pas un noir, pas un temps mort, et des trouvailles scéniques qui vous arrachent tantôt des larmes tantôt un rire inattendu (voir notamment les personnages du cousin Pilade et ses avatars, en cœur antique un peu particulier, ou celui du ministre, pour lequel Oreste écrit des discours avec son cousin, que l’on sent bien proche du besoin de révélation de la belle Electre.


Le décor est d'une sobriété salutaire, mettant en avant les enjeux, les personnalités, le jeu des comédiens qui irradient littéralement cette histoire et en même temps la font chair et vérité avec et au-delà du verbe. Les quelques objets qui servent la scénographie ont trait à la communication et l’éclairage, autour d’un dispositif de salle d’attente nomade.


Un autre gros atout du spectacle, c’est sa distribution. Oreste et Electre, héros de cette machine infernale en marche, frère et sœur le plus souvent en communication par téléphones interposés, sont incarnés par deux comédiens lumineux et ombrageux à la fois. Electre est servie par l'énergie revendicatrice et habitée par la vengeance de Maou Tulissi , dont le visage pré raphaélique contraste avec la brutalité incandescente du personnage, et à laquelle s’oppose le jeu à la fois sobre et habité de Mathieu Le Goaster qui joue un Oreste  torturé et fidèle à sa sœur sans parvenir tout à fait à hair une mère imparfaite. Un Oreste qui est aussi le maître du jeu car il est le maitre des mots. Sensible dans l’intimité de la famille, presque cynique en situation de travail auprès d’un ministre burlesque, il est le fil de l’histoire et le bras vengeur, l’artisan du dernier événement, que je ne veux pas dévoiler ici.

Cette mère, Clytemnestre, est jouée par Cindy Spath, qui donne à la figure mythique de la mère indigne une épaisseur complexe, sensuelle et troublante, presque aimable. Faut-il la condamner? S’est-elle condamnée elle même? Bien que la pièce nous apprenne rapidement sa maladie puis son coma, lorsque son fantôme revient plaider sa cause auprès d’Oreste et d’Electre, l’incarnation de la comédienne nous met dans un nécessaire inconfort, car là encore c’est bien de langage qu’il s’agit. Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où est-elle allée? A-t-elle joué, vraiment, un rôle dans le suicide de son époux? Avoir un amant est-il vraiment une vilenie méritant punition?


Les autres personnages sont interprétés par deux comédiens véritablement déjantés: Emmanuel Gaury  incarne en effet, tour à tour, dans un vent de folie, Egisthe (amant de Clytemnestre, coupable présumé de la mort du père- Agamemnon, toujours- le Ministre dont Oreste conduit la communication, le médecin qui annonce les mauvaises nouvelles de la santé de Clytemnestre à l'hôpital (les mots, toujours les mots), le prêtre de l’hôpital ….


De même pour le comédien Paul Martin, qui joue le tendre Pilade, cousin de la famille fort proche d’Electre, plaidant pour une parole plus vraie auprès d’Oreste quand il s’agit de repenser les discours du ministre, notamment au sujet du glyphosate (et oui!). Ce n’est pas son seul talent, mais puis-je dévoiler qu’une des scènes les plus folles lui revient, et qu’il pousse ma foi plutôt bien la chansonnette? Tour à tour psychologue lacanien, barman cosmique, porteur de  lumière, attaché parlementaire?… Il est époustouflant.


Bref, cette pièce est un véritable coup de cœur, que vous devez absolument venir voir cet été au théâtre de l’Oriflamme! 



Tous les jours à 16h45 (relâche les mardis)

Théâtre des Gémeaux


Texte et mise en scène Sébastien Bizeau

Avec Cindy Spath, Maou Tulissi, Paul Martin, Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster,

Lumières et vidéo: Thomas Nimsgern

Costumes : Claire Bigot

Attachée de presse : Dominique Lhotte


Crédit photo : Cie Hors du temps



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