mercredi 24 juillet 2024

Mephisto Valse/Plus qu'un exercice de style "pour rire" : le 21ème siècle en alexandrins

 Méphisto

Vu au théâtre de l'étincelle



La délicieuse surprise où l'histoire du talent des voisins....

Je ne vous mentirai pas : les vers, je les aime grillés, avalés, mis en veilleuse à quelques exceptions près : quand ils se moquent et ne me regardent pas de haut ! Quand ils sont légers, si légers qu'on oublie qu'ils sont des vers !

Oui, quand ils se rapprochent de l'écriture à contrainte. Il en va pour moi des alexandrins comme de la lettre e, de l'OULIPO, des calligrammes. 

En ce sens, à mes oreilles les alexandrins se prêtent bien à la comédie et la plupart des exercices de style percussifs aussi.

Qu'on les utilise pour écrire une farce dite contemporaine, c'est à dire sans costumes et sans références littéraires poussives avait de quoi m'intéresser.

La farce en soi est un exercice que je tiens pour terriblement difficile et je me suis retrouvée à l'Etincelle avec mon billet pour les alexandrins seulement, ne m'attendant pas à ce que cette compagnie pousse la gourmandise jusqu'à respecter la forme même de la farce. La troisième surprise fut pour moi d'apprendre que la compagnie est sise à Morières, autant dire que ce sont des voisins. Je n'ai jamais douté que des talents fourmillent dans la garigues malgré le fort soleil censé nous gâcher les neurones et nous réduire à de grosses langastes alcoolisées fières de leurs barbecue, il y a toujours eu des esprit fins et espiègles sur cette terre où la mare nostrum étend sa main griffue. Mais souvent ils se cachent.

Or voilà que je découvre un nid de dinguerie inspiré par la Mephisto Waltz de Lizt, un ouvrage ma foi fort bien tourné, interprété, dirigé ! 

Tout commence avec cet écrivain qui veut écrire une pièce contemporaine, mais en alexandrin. Mariés à sa metteuse en scène, les voilà discutant sur l'éternel canapée cher aux comédies de genre.....Voilà qu'un type fort curieusement habillé, mi toro mi torero clinquant apparaît dans leur dos.... Eméché , le couple pense tout de suite à une farce et se paie sa tête....Concours de vannes ....en alexandrins, s'il vous plaît !

Voilà lancé l'improbable objet théâtral qui va vous mené par le bout de l'oreille. Peut-être aurrez vous remarqué que sur la droite de la scène, il y a un lit. Elément importantissime où bien des tours de magie noire vont se jouer.

Je regrette d'avoir vu cette  excentricité merveilleuse en fin de festival seulement car j'aurais su y pousser mon entourage et même davantage. 

Donc sachez-le, avec un peu d'humour et sans aucun complexe, l'alexandrin coule dans les oreilles comme le bon champagne dans mon gosier de bon vivant et la compagnie se charge de vous faire valser d'un acte à l'autre avec une irrévérence élégante.

Tout de même, il fallait oser !

Il y a une véritable histoire, un enchevêtrement d'imbroglios que le talent de l'auteur rend probables puisqu'il nous a emmené sans effort sur la barque de la suspension de crédibilité. C'est un plaisir coupable que de se régaler d'une farce inutilement rédigée dans le labeur précieux de l'alexandrin et cela ajoute à la fête. Car tout ceci n'est qu'une ode au plaisir pur.

De quiproquos en gymnastique anachronique et autres contrepèteries de bon aloi, emmené par ces dialogues d'une fluidité qui laisse aux acteurs toute la latitude de jouer comme des petits fous, on termine chaque acte sur un improbable twist qui nous asseoiffe, nous qui courons pourtant d'un mauvais siège à l'autre entre deux pac à l'eau ou deux embrassades gluantes.

Et pourtant....Je l'avoue, la simple idée d'associer systématiquement Méphisto ou le mal à une harmonie de rouge et de noir me donne de l'urticaire et c'est dans la part "costume" que j'aurais pu lâcher la rampe malgré l'humour et le 3ème degré de la mesure. Mais j'étais ferrée et je me suis laissée faire, par les inconscients dindons de la farce autant que par Mephisto lui-même et sa supérieure, Death, qui s'inquiète du goût soudain que son employé se découvre pour les humains. Par le truchement du métamorphe voilà que l'enfer s'attache à notre pauvre espèce après avoir goûté le meilleur de la condition humaine.

Je ne vais pas m'avancer plus. Cette pièce a de beaux jours devant elle et serait un bel exercice, en plus, pour de jeunes comédiens.

Souhaitons à cette compagnie talentueuse et trop modeste le succès qu'elle mérite.

Adeline AVRIL


 Description :

Arthaly Cie est une compagnie théâtrale vauclusienne professionnelle située à Morières-lès-Avignon, fondée en 2014.
Surprendre, émouvoir, interroger, imaginer…
Ses travaux ont été orientés jusqu’à présent vers des textes contemporains.
Quatre créations ont vu le jour depuis l'origine dont les trois premières mises en scène par François Brett :
A Montmartre cette année-là, comédie musicale pour onze comédiens, texte et livret écrits par François Brett sur des musiques originales d'Eric Breton ;
Jeux de scène, pièce de Victor Haïm pour deux comédiennes (Molière de l’auteur en 2003) ;
Lettre à Monsieur le futur président de la République-conte de Noël, de Gérard Gélas, théâtre citoyen : texte est interprété par Franck Etenna ;

Méphisto valse, comédie baroque contemporaine en alexandrins de François Brett (deux comédiennes et deux comédiens), mise en scène par Geneviève Brett.

Monstres / Qui est le monstre ? Une déflagration nécessaire !

 Monstres/Dans le chaos du monde et l'incapacité à nous comprendre les uns les autres, qui est le monstre ?

Vu à La Salle Tomasi, La Factory




Une déflagration nécessaire 

Quatre  amis qu'on devine proches, dans la vingtaine, fêtent la fin de leurs études en art dramatique. L'un, Noé, semble opter pour la mise en scène. Ils sont tous passionnés, obsédés même par l'avenir qui  les attend. Ils veulent désormais travailler ensemble. Noé, s'autodésignant leader d'un projet, s'enflamme et rêve sa distribution idéale. Il veut écrire sur simone scwartz-Bart   et son époux, mettre en scène le travail de Simone, même. A priori, ils sont tous partant pour le projet. Cependant, l'obsession de Noé qui veut réaliser sa vision, commence peu à peu à heurter certains membres de l'équipe. A l'Euphorie de la fête, succède le questionnement qu'ils avaient jusqu'ici sans doute ignoré, inconsciemment ou à dessein de maintenir une unité d'opinions et de ressentis présumés gages d'une amitié totale et absolue telle qu'on la vit à 20 ans.

Voilà le moment de faire un détour en résumant la vie et l'oeuvre de Simone Schartz-Bart, née Simone Brumant. Intellectuelle caribéenne née en Guadeloupe, elle fait très jeune une rencontre amoureuse décisive pour son parcours d'écrivaine : elle tombe amoureuse et épouse André Swartz-Bart, juif blanc installé en Guadeloupe ayant été traumatisé et touché dans sa chair par la déportation. Leur premier opus est une oeuvre à quatre mains : Un plat de porc aux bananes vertes. Les deux continueront de travailler ensemble autant que séparément. Simone, notamment, écrira une pièce de théatre titrée Mon Beau Capitaine, dont on peut penser qu'elle est l'oeuvre que Noé désire mettre en scène avec ses amis Amédé et Angèle dans les rôles principaux, alors que sa troisième amie, la turbulante et bouillonnnante Sara se verra attribuer le rôle de l'oiseau conteur.

La distribution semble satisfaire tout le monde. Angèle, française des antilles, tient le rôle titre et Noé ne comprend pas son manque d'enthousiasme. Amédé fait au mieux, essayant de ne froisser personne et la dernière - Sara - se satisfait de ce rôle étrange que Noé lui donne. Au court des répétitions, la question de l'appropriation culturelle va s'imposer, infectieuse, et l'on constatera qu'à partir de quatre désirs de justice, quatre visions de la justesse d'une mise en scène d'une texte écrit par Simone Schartz-Bart, femme noire, par un jeune homme blanc, fait exploser le consensus de surface qui semble lier la troupe, son amitié, sa vision politique de l'art. Le soubassement des dissensions est subtil, individuel et peu dogmatique. Ce choix nous permet de comprendre la subtilité des ressentis que l'on peut balayer un peu vite derrière une notion ou un concept tel que celui d'appropriation culturelle. Ce qui est particulièrement intéressant dans la pièce Monstres c'est que les revendications de chacun arrivent sous la forme d'éclats sentimentaux liés au passé récent des uns et des autres, pas seulement au passé colonial. Ainsi, aucun des personnage ne livre un discours pré-construit, au contraire, chacun se dévoile dans ses étonnements. Angèle questionne son père car elle ne comprend pas pourquoi, dans sa famille, personne ne parlait créole. Amédée n'est pas insensible à la cause noire mais il est surtout torturé par le fait que sa mère, haïtienne, n'ait pas voulu le rencontrer après l'avoir abandonné. Les blessures et les recherches de réponses se confondent parfois, se mélangent si bien que chaque protagoniste a une voix propre qui n'est pas fermée à l'autre et l'isole pourtant dans sa propre pensée, ses propres réflexions et ses blessures. Ainsi Sara n'en parle guère mais elle se sent prise en étau entre la mémoire de sa bubele qui voudrait qu'elle continue de perpétuer le yiddish et son désir d'être mille autres, elle mais pas seulement, c'est justement pour cela qu' elle a voulu devenir commédienne: elle veut jouer jouer, jouer et pas que des rôle de juive, non mais ! Angèle comprend aussi ce point de vue, ce qui la gène c'est qu'elle voudrait peser dans le renversement des forces en présence et la dissolution de la domination culturelle. Elle voudrait être celle qui mettra en scène les mots de Simone Swartz-Bart. Et Noé dans tout ça ? Noé ne sait plus tellement s'il a une valeur intrinsèque, s'il vit par procuration les questionnements ethniques et féministes de Simone où s'il est "quelqu'un, quelque chose", ni homo ni hétéro, à demi breton à demi alsacien. N'a-t-il aucune souffrance historique a revendiquer ? N'est-il rien ni personne, éternellement condamné à ne créer qu'à partir de sa propre matière "autorisée" ?

Bien évidemment rien n'est aussi simpliste dans ce choral d'identités encore meubles et déjà profondément pensantes. Jamais cette complexité n'est gommée au profit d'un motif plus harmonieux, se prétant mieux au théâtre. Les conflits sont internes autant qu'externes et le jeu explosif des comédiens qui habitent leurs personnages de façon remarquable ne se paie pas d'effets faciles. On les voit nus dans leurs bontés comme dans leurs égoïsmes et surtout on pressent déjà tout le poids de leur carrière d'artistes à venir.

Car après tout il s'agit bien de cela, créer. A partir de quoi et comment, qu'elles sont les règles....Y-a-t-il des règles ?

Ce qui m'a particulièrement plu dans le projet de Elisa Sitbon-Kendall c'est l'ouverture du propos et sa façon extrêmement immersive de nous faire participer à la conversation de ces 4 amis. Muets nous sommes, bien sûr, c'est un peu le métier du spectateur, néanmoins nous sommes inclus dans le débat, qu'il s'agisse des tentatives d'apaisement ou des montées hostiles. Le sujet, traité à hauteur d'humain, est à notre portée. La présence de Noé, notamment au début, dans le public, est une invitation à ne pas rester en retrait, selon moi. D'ailleurs nous étions arrivés dans la salle alors que tous les quatre étaient déjà en train de vivre et de féter ce qui aurait du n'être qu'une étape heureuse vers la vie d'adulte mais sera peut-être la fin d'une certaine idée de l'innocence.

De plus la mise en intrigue des destinées croisés n'a pas été inutilement complexifiée afin de coller à une nécessité éthique propre aux sciences humaines qui n'aurait pas eu sa place sur scène. Ainsi, on pourra postuler que les 4 amis, certes ne sont pas tous issus de minorités mais ils sont tous, d'une certaine manière, privilégiés, puisqu'ils ont pu faire une école de théâtre et que désormais, leur projet de vie va tourner sinon autour d'un rêve du moins d'un choix de vie : la création sera leur métier. Ajouter des problématiques certes réalistes mais complexes aurait pu alourdir le propos, le diluer. Ici ce n'est pas le cas. La dimension intime de l'appropriation culturelle, sa définition même restent au centre du sujet, avec ses corollaires directes : quid de l'identité hors du passé et de l'outrage fait aux ancêtres ? Quid du partage des ressources artistiques ? Suis-je mon obsession ou mon obsession est-elle moi ? Les bonnes intentions font-elles une bonne justice ? L'art est-il au dessus...de quoi...de tout ?

Enfin, la variété émotionnelle de l'incarnation d'une jeunesse "éveillée" m'a parue extrêment riche. Ces acteurs dégageant une énergie concentrée mais très différente qui ne correspond pas forcément aux clichés habituellement représentés sert magnifiquement le propos de la pièce.

Je concluerai en essayant de ne pas dévoiler ni le climax ni la fin ouverte, et en rappelant que les tourments de certains protagonistes, dont Noé lui-même, ne sont pas très éloignés des questionnements d' André Scwartz-Bart, qui, lui même, n'était pas considéré comme étant légitime pour évoquer la condition de la femme noire...

Voilà un très bel opus, une tragédie initiatique contemporaine qui dépeint l'enfance de l'art et met en avant des intellectuels qui ne sont entrés à la bibliothèque de France qu'en 1985 et méritent peut-être qu'on leur accorde un certain intérêt. Le parcours de Simone Schartz-bart, plus long, méritait bien de sortir de l'ornière de l'université et d'être mis en lumière.

Si la pièce est programmée près de chez vous, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

Quant à moi, j'attends avec impatience la parution du texte, assez subtil pour souffrir une lecture à postériori. Et j'avoue que je me suis attachée à ces personnages au points que j'aimerais bien suivre leurs aventures dans le théâtre du 21ème siècle. Que deviendront-ils, Angèle, Amédée, Sara et Noé ?

Une déflagration théâtrale nécessaire, un récit initiatique qui émeut et bouscule !

Adeline AVRIL

Le son des planches/théâtrogène

Autrice : 

Elisa Sitbon Kendall

Comédien·nes : Bonnie Charlès, Jacques-Joël Delgado, Olenka Ilunga, Kerwan Normant

Régisseur·se : Elise Lebargy

Attaché·e presse : Lynda Mihoub

Chargé·e de diffusion : Yves Ostro, Edith Renard

Metteur·se en scène :  Elisa Sitbon Kendall, Gaïl-Ann Willig



mardi 23 juillet 2024

Constellation Bobin Leprest : Entrez en Poésie avec Alain klingler

Constellation Bobin Leprest

Vu au Théatre Le Verbe Fou

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Alain Klingler, metteur en scène, musicien, homme de théâtre, a le rafinement singulier de ces ambassadeurs de la pensée capable de vous ramener à des considérations hautes quand bien même vous seriez perdus dans des tâches triviales de consommation inutile, faisant par exemple la queue à Auchan.

Ce n'est pas le genre à éructer "reprenez-vous la vie c'est autre chose", en vous culpabilisant de faire les soldes. Il arrive, il s'asseoit à son piano, la silhouette légère, le geste précis et il vous laisse entrevoir la beauté des choses en laissant entendre qu'il n'est pas trop tard pour entrer en poésie, jamais trop tard, même si c'est comme ça, une heure de temps en temps.

Le voilà donc assis à son piano, sur une scène transformée artistement en bibliothèque à la fois frugale et incisive. On pourrait penser que cet homme est déjà sur son île déserte et qu'il a amené son essentiel : son piano, ses livres de Bobin, sa voix et sa mémoire de Leprest.

J'avoue que je ne connaissais pas Leprest avant de préparer mes dossiers pour le festival à venir. Honte à moi. Merci Mr Klingler, c'est réparé !

Dans mes chroniques de spectacle précédentes j'ai beaucoup parlé de magie, d'apparition. Ici, en admettant qu'on retrouve une forme de sorcellerie propre à la littérature comme à la musique, le procédé est pourtant différent. On ne fait pas apparaître des étoiles sur un drap de velours, mais on ré-apprend à lever la tête pour regarder la voute céleste et regarder si ce soir les étoiles sont visibles ou pas. On fait avec ce qui est. On est dans le vrai et dans l'infime. La feuille de sauge, la note de piano qui dure. C'est un de ces moments où l'art du spectacle, en harmonie avec les auteurs présentés, s'intéresse à la vie même et ne prétend en rien lui faire concurrence.

Deux auteurs qui s'interressaient au métier de vivre et peu à celui de brasser de l'air. Bobin, fuyant la notoriété, peu mondain, plutôt chrétien bien que peu dogmatique. Il se méfiait moins des mendiants que des publicités 4 par 4 qu'on nous impose en milieu urbain.

Leprest, chansonnier ou poète, communiste et athée, préoccupé d'humanité, regardant lui-aussi la vie à la loupe. Dans un extrait d'émission littéraire il confiait à Lefait qu'étant un grand marcheur, il écoutait beaucoup les gens et il avait l'impression que les gens écrivaient en fait ses/ces chansons.

Cette inadéquation entre une sensibilité exacerbée peu compatible avec le monde tel qu'il s'impose, on la retrouve chez les deux artistes qu'Alain Klingler nous permet de découvrir à l'aune de thème tels que l'amour, l'humilité, la liberté de choisir une vie hors norme. Bien sûr on la retrouve chez Klingler aussi. 

De même, l'on ne se peut s'empêcher de comparer l'infatigable Klingler, moins connu que certains de ses pairs et pourtant si puissant dans sa création, jamais à cours d'une idée, vivant probablement lui aussi "en poète" (petit clin d'oeil à C).

Plus qu'un spectacle, Klingler nous a convié à un moment de partage d'une authenticité troublante et il rend à ces deux auteurs un hommage qui est tout sauf princier : il nous tire jusqu'à eux, on devient camarades, tous sous le même ciel, tous dans la même terre. Pendant une heure on aura ressenti les choses dites minuscules avec une acuité d'une force inouie, grâce à Alain Klingler, son talent, son intelligence et son humilité. Et on aura compris comment Bobin et Leprest ont chacun à leur manière tissé une oeuvre hors du temps qui célèbre la vie plus grande, plus intense, plus profonde que celle qu'on nous propose.

Si ce récital littéraire et poétique passe près de chez vous, offrez vous ce compagnonnage, cet excédent de vie.

Entrez dans la constellation Bobin-Leprest.

Adeline Avril

lundi 22 juillet 2024

Piaf, Olympia 1961

 Piaf, Olympia 1961


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Lorsqu'elle est passée l'année dernière à Avignon, dans un journal  quelqu'un a écrit : "Nathalie Romier n'interprète pas Piaf, elle l'incarne". Je suis verte de jalousie. J'aurais aimé pouvoir l'écrire moi-même. Car c'est tout à fait juste. Mais voilà, par la magie d'un oui-jà ou simplement grâce au talent de Nathalie Romier et sa passion pour la môme, je ne suis pas restée sans mots.

En 1961, la môme n'est pas dans une état de santé magnifique. Quand son ami de toujours, Bruno Coquatrix, lui demande de l'aide pour relever l'Olympia, elle ne se dérobe pas, pourtant. S'il est bien un rendez-vous que Piaf ne rate jamais c'est celui qu'elle a avec le public. Elle fera merveille pour son ami et sauvera l'Olympia avec sa grâce et son talent renouvelés, à la fois trop humaine et plus grande que la vie.

L'année dernière, j'ai raté le spectacle de Nathalie Romier avec regrets. Lorsque j'ai lu la presse il en est ressorti de nombreuses expressions liant sa prestation à l'univers surnaturel. Elle "ressuscite Piaf", ai-je lu notamment en plus de l'incarnation que je soulignais en entrée. Je me devais d'être là cette année.

Eh bien, je ne suis pas ressortie déçue de mon spectacle en Juillet. Bien au contraire! A croire que les journalistes, parfois, ont raison ! 

J'étais absolument médusée comme si moi la petite quinqua du 21ème siècle je venais de faire l'objet d'un tour de quelque magicien d'autrefois. Il faut dire, qu'il n'y a pas que la voix et cette convulsion aigrelette qui vibre au dessus de tout, qui signe l'évocation de Piaf, mais il y a aussi toute la posture de Nathalie Romier qui reproduit à la perfection cette gestuelle si singulière, si précise que seule Piaf pouvait "danser" en quelque sorte. Petite Dame hiératique dont les bras s'envolent au dessus et tout autour de son cou penché par les épreuves, la voilà ressurgie telle qu'en 1961.

Les photos d'archives qui passent discrètement derrière soulignent la dimension cérémonielle un brin rituelle de ce fameux concert de 1961 et tout l'abandon de l'artiste, offerte au public et peut-être au ciel pourquoi pas ?

Il faut dire que nous possédons  tous ou presque ce merveilleux album au portrait torturé, violet comme une flamme dont les morceaux sont devenus mythiques et contenaient déjà à l'époque la braise d'un feu éternel.

La foule, Les Blouses Blanches et tous ces morceaux entêtants comme des invocations qu'on ne chante pas à moitié mais avec toute la poitrine, comme hypnotisés. Puisque Piaf était nous tous et que désormais nous lui devons quelque chose.

Oui, c'est ainsi que je suis sortie de ce spectacle, ce récital immersif durant lequel j'ai vu Nathalie Romier possédée par Piaf, répondre "Merci Madame" aux compliments qui l'attendaient dehors sur un ton poli et ancien. Comme Piaf elle-même, encore un peu là avant que Nathalie ne reprenne des couleurs. Elle était possédée, moi j'étais envoutée.

"Merci Madame".

Lorsque nous sommes rentrés, le disque vinyl ressorti était sur une chaise. Nous n'aurions pas été plus étonnés que cela si Edith nous avait fait un clin d'oeil au milieu de la barbouille.

du 29 juin au 21 juillet  relâche les 4, 11, 18 juillet
16h00  1h10
AU B.A THÉÂTRE 
Salle : Salle 1 

mercredi 17 juillet 2024

Le Festinoff Blues

 Le festinoff blues....

C'est une affection qui atteint les festivaliers qui sont venus de loin voir des pièces de théâtre dans la cité des papes. Ce que l'on sait moins c'est qu'elle atteint aussi les festivaliers autochtones qui en ont guetté les prémisses dès le printemps et se voient cette année -oui, étrange année- privés d'une semaine de plaisir supplémentaire.

Les symptômes sont les mêmes que pour tout événement qui crée un moment d'euphorie, une ouverture dans la morosité du quotidien, une breche hors du temps : on est raplapla, de mauvaise humeur, on râle, on essaie de prolonger la fête par des moyens parfois burlesques, on se raconte entre frustrés les meilleurs moments du festival, on feint de se disputer sur les désaccords possibles, bref, c'est la déprime à la française : on se repporte sur la bouffe et le vin pour certains, on s'enfuit veres une autre fête pour les autres.

Le festival n'est pas tout à fait fini pour les autres, mais de climatisation en virus, j'ai du jeter l'éponge, terrassée par une angine qui l'a joué fine et s'est transformée en bronchite asmathiforme. Voilà donc encore raccourcie d'autant ma fiesta del téatro ! J'avoue n'avoir aucun neurone de disponible pour déprimer. Cela viendra peut-être plus tard. Néanmoins, malgré une offre généreuse et de qualité, les derniers événements politiques, sportifs et j'en passe on atténué la dimension festive du festival. Nous sentons bien que celui-ci se transforme, qu'il change de cible. Comme n'importe quel organisme qui veut vivre. J'avoue que je ne suis pas effrayée. Ce festival est encore à ma porté. La seule chose qui pourrait m'amener à le fuir ce serait que la presse, sommée de payer ses places comme les autres spectateurs, soit nivelée par le niveau de subvention reçue. La radio dans laquelle je fait du bénévolat n'est pas subventionnée par la mairie et j'avoue que si du jour au lendemain nous devions payer pour voir des spectacles et les promouvoir ou non, ce serait un crève-coeur .

Pourtant, il est de plus en plus facile d'obtenir des accréditations. Dans certains théâtres grâce à ce cezame, on peut parfois entrer gratuitement. Dans d'autres on bénéficie de prix franchement intéressants.

Néanmoins, cela questionne certains bloggeurs sérieux qui défendent le off depuis au moins 20 ans, parfois plus et commencent à se voir refuser des entrées sous de fallacieux prétextes.

Je les comprends.

Je comprends aussi qu'il est nécessaire d'attirer de jeunes spectateurs. D'où j'imagine l'offre festive du village du off, qui n'a plus grand chose à voir avec le théâtre. Je n'ai pas eu le temps d'y passer une minute cette année. Parce que je fixe mes rdv dans des endroits plus calmes, notamment.

L'offre du In est plus chère mais plus lisible. Les offres transversales sont passionnantes mais difficiles à honorer car elles empiètent sur les heures de spectacle. Comment faire autrement ? J'ai encore raté le souffle d'Avignon, qui est pourtant un événement important et transversal. Ouvert qui plus est.

Pourquoi ? D'une part je faisais des interviews, de l'autre, je courais de théâtre en théâtre pour assister à des spectacles.

L'année prochaine je ferai mieux.


Valkyrie

 Valkyrie





J'ai eu la chance d'assister à une interview d'Ava Baya , j'espérais en savoir davantage sur ce mystérieux objet théatral fort attendu. Attendu de par la célébrité montante d'Ava Baya, comédienne, chanteuse mais aussi par son sujet. Je n'ai pu m'enpêcher d'imaginer que je me trouvais en présence d'une version off du projet subversif de Rebecca Chaillon qui avait fait scandale l'année dernière.

Mais Ava Baya a laissé planner le mystère et elle a bien fait.

En effet, à mots couverts, on prédisait dans le programme que les amazones allaient envahir le public pour fêter l'avènement d'un possible matriarcat.

Féministe, bien sûr que ce spectacle est féministe. Mais c'est davantage un féminisme d'affirmation et d'approfondissement individuel qu'un féminisme de combat qui se cherche un ennemi. Voilà déjà une belle surprise. Non que la cause ne mérite pas le combat, au contraire, mais nous voilà revenus au théâtre, et non sur un ring.

Donc malgré tout le respect que je dois à Rébecca Chaillon et son théâtre de l'affrontement, j'avoue que le choix opéré par Ava Baya et Pierre Pfauwadel m'a séduite. Le festival off va sur sa fin, donc vous verrez ce spectacle ailleurs en tous cas je vous le souhaite, car le propos, complexe, franc du collier, mélant uchronie (retours sur la Grèce antique) et présent , amène la question du comment être une vraie féministe en restant soi-même avec une auto-dérision audacieuse.

Chacune des commédiennes représente non seulement un aspect de la guerrière amazonne mais aussi un aspect de la femme contemporaine et de ses contradictions. Qui plus est, chacune est jouée par une actrice qui développe ses talents propres. Le fil rouge est la quête de soi. Chacune a son moment seule face à nous, dégagée du "groupe" qui part se chamailler "à côté", elle se confie par choix ou par accident.

Et cela fait évoluer la vision première que nous avons eu en entrant de plein pied dans une sorte de rituel payen mené comme un plan d'attaque contre les hommes.

On comprendra peu à peu que ce plan d'attaque est complexe car il s'agit d'attaquer Hyppolite -oui, celui-la même, celui qui dénonça Phèdre- qui est le fils de la Reine des amazonnes. Qui plus est, enceinte, l'une des guerrière se demande si elle ira ou non vivre avec les hommes si son enfant est un garçon. Voilà posée la vulnérabilité liée à l'enfantement charnel. Cela deviendra-t-il une force ?

Après nombre de scènes qui nous arrachent des larmes de rire et beaucoup de tendresse pour les diverses stratégies de ces filles "comme les autres" qui sont aussi "des amazones, des guerrières", nous reviendrons au mythe et nombre de questionnements seront résolus mais bien sûr, les meilleurs spectacles sont ceux qui mêlent résolution et questionnements nouveaux. Lépée est désormais entre vos mains.

J'ai beaucoup aimé la scénographie à deux voix réalisée en complicité par Pierre Pfauwadel et Ava Baya, dans cet opus qui tient en équilibre entre la tragédie grecques et la tragicomédie contemporaine. La lumière est travaillée sans ostentation mais avec finesse et l'idée de la moto-jument-cyclope, enjeu d'émancipation pour l'une, de séduction pour l'autre est une très belle idée qui coud merveilleusement ce mélange entre l'antiquité et le monde hypercarboné, saturé d'électricité. D'autant qu'Hypolite finira sa course en char....La musique est aussi un atout certain, qui participe de l'homogénité de ce chaos centrifuge tout en amenant un certain paganisme pop dans la dimension où le réel affleure.

J'ajouterai que la distribution est un régal -vraiment- et je cesse là mon enthousiasme, allez voir ce spectacle !

Adeline Avril

Vu au théatre transversal


Acteur·rices : 
Ava Baya, Guillermina Celedon, Sasoux Dosso, Laura Facelina, Mélissa Polonie, Hélène Rimenaid
Metteur·se en scène : Pierre Pfauwadel

La Compagnie LENCRE est une compagnie théâtrale basée à La Rochelle et menée par trois artistes émergents.

samedi 13 juillet 2024

Momentos de Valérie Ortiz : Un Pur moment de Grâce

 Momentos

Moments de Grâce 




J'ai vu Momentos au théâtre du Girasole et j'ai la sensation d'être restée en apesanteur durant tout le spectacle. 

Emancipée de la dimension "folklorique" sans pour autant renier la tradition du Flamenco, Valerie Ortiz, a réussi à inventer sa propre signature en acceptant que son spectacle soit traversé de tout ce qui la constitue elle-même. Ainsi on retrouvera dans "Momentos", des moments qui font penser à de la danse classique, des moments contemporains, parfois on se croirait à Broadway.

Cette magie qui lui est propre tient aussi à l'art qu'elle a de s'entourer. Même si sa grâce et sa technique irradient la scène, elle ne monopolise jamais la lumière, ce dont pourtant nul ne se plaindrait.

Place à l'Art

Elle a placé, au contraire, ses musiciens sur une sorte d'estrade et parfois l'un d'eux s'invite pour un duo de chant ou quelques pas. Notons qu'elle est entourée de grands musiciens qui passent allégrement du Flamenco au Jazz ou encore au classique et qu'il s'agisse d'une conversation entre deux guitares ou un solo de batterie, jamais l'harmonie percussive ne se dilue, jamais le grand mouvement des corps qui traverse Momentos ne se perd. Dans ce grand vent de beauté pure, Momentos nous soulève. 

Grace à la scénographie et au travail de la lumière, tantôt nous voilà accrochés aux pieds et aux chevilles qui sont comme un alphabet de poésie autant qu'une partition de pluie vibrante, tantôt au délié des poignets et des mains qui mènent leur chorégraphie propre comme des fleurs qui se déploient.

Enfin, les duos de danse, femme/homme ou homme/ homme sont d'une beauté et d'une originalité que seule une artiste comme Valérie Ortiz peut imaginer. Quand elle y joint les castagnettes on comprend toute la beauté orignelle de ce son si particulier capable de fusionner avec tous les styles de musique, tous les instruments. Les solos de chant sont sensuels et aériens, tantôt à capella tantôt accompagnés. Du début à la fin, c'est une histoire qui se déroule, une chorégraphie qui se déroule sans discours ni annonce. Nous avons fait un voyage dont on aimerait qu'il ne finisse pas encore. On devine qu'il s'agit aussi de dire l'amour sous toutes ses formes.

En standing ovation, on est debout pour remercier. Ce n'est pas du divertissement c'est une sorte de privilège que d'avoir bu à cette source qui renouvelle le corps et l'esprit comme une cérémonie sacrée. On garde en soi un peu de cette énergie qui nous a été offerte.

Adeline AVRIL

Lien vers le site du off


du 3 au 21 juillet  relâche les 8, 15 juillet
19h15  1h25
GIRASOLE (THÉÂTRE DU)
Salle : GIRASOLE (THÉÂTRE DU) 
Public : Tout public à partir de 5 ans

Mephisto Valse/Plus qu'un exercice de style "pour rire" : le 21ème siècle en alexandrins

 Méphisto Vu au théâtre de l'étincelle La délicieuse surprise où l'histoire du talent des voisins.... Je ne vous mentirai pas : les ...