lundi 22 juillet 2024

Piaf, Olympia 1961

 Piaf, Olympia 1961


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Lorsqu'elle est passée l'année dernière à Avignon, dans un journal  quelqu'un a écrit : "Nathalie Romier n'interprète pas Piaf, elle l'incarne". Je suis verte de jalousie. J'aurais aimé pouvoir l'écrire moi-même. Car c'est tout à fait juste. Mais voilà, par la magie d'un oui-jà ou simplement grâce au talent de Nathalie Romier et sa passion pour la môme, je ne suis pas restée sans mots.

En 1961, la môme n'est pas dans une état de santé magnifique. Quand son ami de toujours, Bruno Coquatrix, lui demande de l'aide pour relever l'Olympia, elle ne se dérobe pas, pourtant. S'il est bien un rendez-vous que Piaf ne rate jamais c'est celui qu'elle a avec le public. Elle fera merveille pour son ami et sauvera l'Olympia avec sa grâce et son talent renouvelés, à la fois trop humaine et plus grande que la vie.

L'année dernière, j'ai raté le spectacle de Nathalie Romier avec regrets. Lorsque j'ai lu la presse il en est ressorti de nombreuses expressions liant sa prestation à l'univers surnaturel. Elle "ressuscite Piaf", ai-je lu notamment en plus de l'incarnation que je soulignais en entrée. Je me devais d'être là cette année.

Eh bien, je ne suis pas ressortie déçue de mon spectacle en Juillet. Bien au contraire! A croire que les journalistes, parfois, ont raison ! 

J'étais absolument médusée comme si moi la petite quinqua du 21ème siècle je venais de faire l'objet d'un tour de quelque magicien d'autrefois. Il faut dire, qu'il n'y a pas que la voix et cette convulsion aigrelette qui vibre au dessus de tout, qui signe l'évocation de Piaf, mais il y a aussi toute la posture de Nathalie Romier qui reproduit à la perfection cette gestuelle si singulière, si précise que seule Piaf pouvait "danser" en quelque sorte. Petite Dame hiératique dont les bras s'envolent au dessus et tout autour de son cou penché par les épreuves, la voilà ressurgie telle qu'en 1961.

Les photos d'archives qui passent discrètement derrière soulignent la dimension cérémonielle un brin rituelle de ce fameux concert de 1961 et tout l'abandon de l'artiste, offerte au public et peut-être au ciel pourquoi pas ?

Il faut dire que nous possédons  tous ou presque ce merveilleux album au portrait torturé, violet comme une flamme dont les morceaux sont devenus mythiques et contenaient déjà à l'époque la braise d'un feu éternel.

La foule, Les Blouses Blanches et tous ces morceaux entêtants comme des invocations qu'on ne chante pas à moitié mais avec toute la poitrine, comme hypnotisés. Puisque Piaf était nous tous et que désormais nous lui devons quelque chose.

Oui, c'est ainsi que je suis sortie de ce spectacle, ce récital immersif durant lequel j'ai vu Nathalie Romier possédée par Piaf, répondre "Merci Madame" aux compliments qui l'attendaient dehors sur un ton poli et ancien. Comme Piaf elle-même, encore un peu là avant que Nathalie ne reprenne des couleurs. Elle était possédée, moi j'étais envoutée.

"Merci Madame".

Lorsque nous sommes rentrés, le disque vinyl ressorti était sur une chaise. Nous n'aurions pas été plus étonnés que cela si Edith nous avait fait un clin d'oeil au milieu de la barbouille.

du 29 juin au 21 juillet  relâche les 4, 11, 18 juillet
16h00  1h10
AU B.A THÉÂTRE 
Salle : Salle 1 

mercredi 17 juillet 2024

Le Festinoff Blues

 Le festinoff blues....

C'est une affection qui atteint les festivaliers qui sont venus de loin voir des pièces de théâtre dans la cité des papes. Ce que l'on sait moins c'est qu'elle atteint aussi les festivaliers autochtones qui en ont guetté les prémisses dès le printemps et se voient cette année -oui, étrange année- privés d'une semaine de plaisir supplémentaire.

Les symptômes sont les mêmes que pour tout événement qui crée un moment d'euphorie, une ouverture dans la morosité du quotidien, une breche hors du temps : on est raplapla, de mauvaise humeur, on râle, on essaie de prolonger la fête par des moyens parfois burlesques, on se raconte entre frustrés les meilleurs moments du festival, on feint de se disputer sur les désaccords possibles, bref, c'est la déprime à la française : on se repporte sur la bouffe et le vin pour certains, on s'enfuit veres une autre fête pour les autres.

Le festival n'est pas tout à fait fini pour les autres, mais de climatisation en virus, j'ai du jeter l'éponge, terrassée par une angine qui l'a joué fine et s'est transformée en bronchite asmathiforme. Voilà donc encore raccourcie d'autant ma fiesta del téatro ! J'avoue n'avoir aucun neurone de disponible pour déprimer. Cela viendra peut-être plus tard. Néanmoins, malgré une offre généreuse et de qualité, les derniers événements politiques, sportifs et j'en passe on atténué la dimension festive du festival. Nous sentons bien que celui-ci se transforme, qu'il change de cible. Comme n'importe quel organisme qui veut vivre. J'avoue que je ne suis pas effrayée. Ce festival est encore à ma porté. La seule chose qui pourrait m'amener à le fuir ce serait que la presse, sommée de payer ses places comme les autres spectateurs, soit nivelée par le niveau de subvention reçue. La radio dans laquelle je fait du bénévolat n'est pas subventionnée par la mairie et j'avoue que si du jour au lendemain nous devions payer pour voir des spectacles et les promouvoir ou non, ce serait un crève-coeur .

Pourtant, il est de plus en plus facile d'obtenir des accréditations. Dans certains théâtres grâce à ce cezame, on peut parfois entrer gratuitement. Dans d'autres on bénéficie de prix franchement intéressants.

Néanmoins, cela questionne certains bloggeurs sérieux qui défendent le off depuis au moins 20 ans, parfois plus et commencent à se voir refuser des entrées sous de fallacieux prétextes.

Je les comprends.

Je comprends aussi qu'il est nécessaire d'attirer de jeunes spectateurs. D'où j'imagine l'offre festive du village du off, qui n'a plus grand chose à voir avec le théâtre. Je n'ai pas eu le temps d'y passer une minute cette année. Parce que je fixe mes rdv dans des endroits plus calmes, notamment.

L'offre du In est plus chère mais plus lisible. Les offres transversales sont passionnantes mais difficiles à honorer car elles empiètent sur les heures de spectacle. Comment faire autrement ? J'ai encore raté le souffle d'Avignon, qui est pourtant un événement important et transversal. Ouvert qui plus est.

Pourquoi ? D'une part je faisais des interviews, de l'autre, je courais de théâtre en théâtre pour assister à des spectacles.

L'année prochaine je ferai mieux.


Valkyrie

 Valkyrie





J'ai eu la chance d'assister à une interview d'Ava Baya , j'espérais en savoir davantage sur ce mystérieux objet théatral fort attendu. Attendu de par la célébrité montante d'Ava Baya, comédienne, chanteuse mais aussi par son sujet. Je n'ai pu m'enpêcher d'imaginer que je me trouvais en présence d'une version off du projet subversif de Rebecca Chaillon qui avait fait scandale l'année dernière.

Mais Ava Baya a laissé planner le mystère et elle a bien fait.

En effet, à mots couverts, on prédisait dans le programme que les amazones allaient envahir le public pour fêter l'avènement d'un possible matriarcat.

Féministe, bien sûr que ce spectacle est féministe. Mais c'est davantage un féminisme d'affirmation et d'approfondissement individuel qu'un féminisme de combat qui se cherche un ennemi. Voilà déjà une belle surprise. Non que la cause ne mérite pas le combat, au contraire, mais nous voilà revenus au théâtre, et non sur un ring.

Donc malgré tout le respect que je dois à Rébecca Chaillon et son théâtre de l'affrontement, j'avoue que le choix opéré par Ava Baya et Pierre Pfauwadel m'a séduite. Le festival off va sur sa fin, donc vous verrez ce spectacle ailleurs en tous cas je vous le souhaite, car le propos, complexe, franc du collier, mélant uchronie (retours sur la Grèce antique) et présent , amène la question du comment être une vraie féministe en restant soi-même avec une auto-dérision audacieuse.

Chacune des commédiennes représente non seulement un aspect de la guerrière amazonne mais aussi un aspect de la femme contemporaine et de ses contradictions. Qui plus est, chacune est jouée par une actrice qui développe ses talents propres. Le fil rouge est la quête de soi. Chacune a son moment seule face à nous, dégagée du "groupe" qui part se chamailler "à côté", elle se confie par choix ou par accident.

Et cela fait évoluer la vision première que nous avons eu en entrant de plein pied dans une sorte de rituel payen mené comme un plan d'attaque contre les hommes.

On comprendra peu à peu que ce plan d'attaque est complexe car il s'agit d'attaquer Hyppolite -oui, celui-la même, celui qui dénonça Phèdre- qui est le fils de la Reine des amazonnes. Qui plus est, enceinte, l'une des guerrière se demande si elle ira ou non vivre avec les hommes si son enfant est un garçon. Voilà posée la vulnérabilité liée à l'enfantement charnel. Cela deviendra-t-il une force ?

Après nombre de scènes qui nous arrachent des larmes de rire et beaucoup de tendresse pour les diverses stratégies de ces filles "comme les autres" qui sont aussi "des amazones, des guerrières", nous reviendrons au mythe et nombre de questionnements seront résolus mais bien sûr, les meilleurs spectacles sont ceux qui mêlent résolution et questionnements nouveaux. Lépée est désormais entre vos mains.

J'ai beaucoup aimé la scénographie à deux voix réalisée en complicité par Pierre Pfauwadel et Ava Baya, dans cet opus qui tient en équilibre entre la tragédie grecques et la tragicomédie contemporaine. La lumière est travaillée sans ostentation mais avec finesse et l'idée de la moto-jument-cyclope, enjeu d'émancipation pour l'une, de séduction pour l'autre est une très belle idée qui coud merveilleusement ce mélange entre l'antiquité et le monde hypercarboné, saturé d'électricité. D'autant qu'Hypolite finira sa course en char....La musique est aussi un atout certain, qui participe de l'homogénité de ce chaos centrifuge tout en amenant un certain paganisme pop dans la dimension où le réel affleure.

J'ajouterai que la distribution est un régal -vraiment- et je cesse là mon enthousiasme, allez voir ce spectacle !

Adeline Avril

Vu au théatre transversal


Acteur·rices : 
Ava Baya, Guillermina Celedon, Sasoux Dosso, Laura Facelina, Mélissa Polonie, Hélène Rimenaid
Metteur·se en scène : Pierre Pfauwadel

La Compagnie LENCRE est une compagnie théâtrale basée à La Rochelle et menée par trois artistes émergents.

samedi 13 juillet 2024

Momentos de Valérie Ortiz : Un Pur moment de Grâce

 Momentos

Moments de Grâce 




J'ai vu Momentos au théâtre du Girasole et j'ai la sensation d'être restée en apesanteur durant tout le spectacle. 

Emancipée de la dimension "folklorique" sans pour autant renier la tradition du Flamenco, Valerie Ortiz, a réussi à inventer sa propre signature en acceptant que son spectacle soit traversé de tout ce qui la constitue elle-même. Ainsi on retrouvera dans "Momentos", des moments qui font penser à de la danse classique, des moments contemporains, parfois on se croirait à Broadway.

Cette magie qui lui est propre tient aussi à l'art qu'elle a de s'entourer. Même si sa grâce et sa technique irradient la scène, elle ne monopolise jamais la lumière, ce dont pourtant nul ne se plaindrait.

Place à l'Art

Elle a placé, au contraire, ses musiciens sur une sorte d'estrade et parfois l'un d'eux s'invite pour un duo de chant ou quelques pas. Notons qu'elle est entourée de grands musiciens qui passent allégrement du Flamenco au Jazz ou encore au classique et qu'il s'agisse d'une conversation entre deux guitares ou un solo de batterie, jamais l'harmonie percussive ne se dilue, jamais le grand mouvement des corps qui traverse Momentos ne se perd. Dans ce grand vent de beauté pure, Momentos nous soulève. 

Grace à la scénographie et au travail de la lumière, tantôt nous voilà accrochés aux pieds et aux chevilles qui sont comme un alphabet de poésie autant qu'une partition de pluie vibrante, tantôt au délié des poignets et des mains qui mènent leur chorégraphie propre comme des fleurs qui se déploient.

Enfin, les duos de danse, femme/homme ou homme/ homme sont d'une beauté et d'une originalité que seule une artiste comme Valérie Ortiz peut imaginer. Quand elle y joint les castagnettes on comprend toute la beauté orignelle de ce son si particulier capable de fusionner avec tous les styles de musique, tous les instruments. Les solos de chant sont sensuels et aériens, tantôt à capella tantôt accompagnés. Du début à la fin, c'est une histoire qui se déroule, une chorégraphie qui se déroule sans discours ni annonce. Nous avons fait un voyage dont on aimerait qu'il ne finisse pas encore. On devine qu'il s'agit aussi de dire l'amour sous toutes ses formes.

En standing ovation, on est debout pour remercier. Ce n'est pas du divertissement c'est une sorte de privilège que d'avoir bu à cette source qui renouvelle le corps et l'esprit comme une cérémonie sacrée. On garde en soi un peu de cette énergie qui nous a été offerte.

Adeline AVRIL

Lien vers le site du off


du 3 au 21 juillet  relâche les 8, 15 juillet
19h15  1h25
GIRASOLE (THÉÂTRE DU)
Salle : GIRASOLE (THÉÂTRE DU) 
Public : Tout public à partir de 5 ans

lundi 8 juillet 2024

Femme Non rééducable

 Femme non rééducable





Anna Politkovskaia, journaliste russe, mère de deux enfants voulait écrire ce qu'elle avait vu sur le front tchtechène. Les exactions russes, la violence niée.

Elle n'entendait pas prendre parti, elle entendait faire savoir ce qu'elle avait constaté de ses yeux, au cours de ses enquêtes de terrain et de ses entretiens.

Le 7 octobre 2006 son corps fut retrouvé, sans vie, dans la cage d'escalier de son immeuble. Une arme typique près de son corps, signant l'intervention du pouvoir russe.

C'est de son histoire, de ses écrits, que le dramature italien Stefano Massini s'est inspiré pour écrire cette pièce.




Anna Politkovskaia

Il s'agit d'une pièce écrite pour deux personnages à partir de faits réels mais aussi des notes de la journalistes prises lors de ses enquêtes et entretiens.

Deux personnages : Une journaliste, Anna Politkovskaïa, et un homme, qui sera à lui seul tous les interlocuteurs ennemis, du bourreau par défaut, au chef de guerre mégalomane.Il représente, ce personnage,l'adversité aveugle autant que les ennemis identifiés.

Anna, donc, et un homme qui, lui, joue tous ses interlocuteurs au cours de ses enquêtes.

Anna est interprétée ici par l'excellente Caroline Rochefort, comédienne remarquée notamment dans le rôle de Violette, soit un tout autre registre, à savoir la pièce inspirée du roman  très plébiscité "Changer l'eau des fleurs".

C'est Pierre Berçot qui joue tous les autres rôles et qui est en permanence au plateau avec Caroline Rochefort. 

Déjà, ce choix de mise en scène inonde de sens et de logique l'enchainement des événements et la droiture de la journaliste.

Le personnage joué par pierre Berçot, tantôt bourreau, tantôt homme politique, acteur d'une série de propagande et encore plus, rend concrète et charnelle, physique, toute l'adversité à laquelle Anna Politkovskaia a du faire face durant sa courte vie, pour faire ses investigations de terrain, en vraie journaliste.

Caroline Rochefort campe une femme forte que les menaces ne font jamais flancher. Elle a peur, elle doute, mais elle y va. C'est bien une femme, une mère que nous voyons sur scène. Avec ses doutes,ses réflexions, sa sidération face à la censure et l'absurdité. 

Si nous la voyons, nous, comme une héroïne, ce n'est probablement pas ainsi qu'elle se voyait elle-même.

La mise en scène et les trouvailles et l'inventivité des acteurs montrent cet aspect de la femme , stable, inflexible, qui persévère et ne se rend pas, même lorsqu'elle comprend la menace, l'épée de Damocles qui pèse au dessus de sa tête: femme "non rééducable" c'est à dire avec une cible sur le front.

Quant à Pierre Berçot, il excelle véritablement à incarner l'homme de l'Est,y compris en parlant parfois russe. Il a cette silhouette agile de soldat surentraîné, survirilisé,et cette capacité à tirer parfois jusqu'au grotesque cette propagande mise en scène et la mégalomanie des chefs de Guerre que dénonçait Anna.

Quelques scènes d'anthologie , comme l'enlèvement d'Anna, nous font froid dans le dos, tant elles sont réalistes et d'autres, tel ce moment de télévision, avec l'écran qui devient pur cadre, tantôt arme, tantôt caricature de brutalité et autres démonstrations de force caricaturales.

Tadrina Hocking sait aborder l'indicible sans tomber dans le pathos et une fois encore,son travail fait merveille, servant le propos double : la liberté de la presse toujours en danger et l'hommage rendu à cette femme hors du commun. On ne ressort pas de ce spectacle essoré par l'horreur, mais plutôt reconnaissant envers Anna Politkovskaïa. et réveillés, s'il est besoin, par une saine colère de résistance.

Que vous connaissiez ou non l'histoire de Anna dans sa totalité, cette histoire saura vous toucher en plein cœur et amener de nouvelles pistes de réflexion sur l'engagement, le journalisme, notamment.

C'est aussi une tragédie qui vaut pour elle-même, par la qualité de l'interprétation et la richesse de sa mise en scène.

A partir de 14 ans, vous pouvez y aller en famille, c'est un très bon prétexte pour débattre d'un tas de sujets : 

la vérité, la guerre, l'information, la censure, la violence légitime, et j'en oublie...

Ce serait salutaire qu'à la rentrée de nombreux lycéens aient la chance de voir cette pièce, dans cette version, qui rend abordable nombre de passages très âpres de la pièce originale de Stéfano Massini.

Quant à la figure d'Anna Politkovskaia, son éthique journalistique autant que citoyenne, la violence à laquelle elle a fait face aussi parce que femme, voilà une figure de l'histoire contemporaine que nous n'oublierons pas de sitôt.

Vive le théâtre.

C'est peu dire que c'est une pièce que je recommande vivement.

Adeline Avril


samedi 6 juillet 2024

Madame Bovary en plus court et plus drôle

 Madame Bovary en plus court et plus drôle





Qui aime bien châtie bien !

J'ai eu la chance d'interviewer Camille et Marion, les heureuses mamans de ce petit joyau d'irrévérence et d'amour pour la littérature ! J'ai ainsi découvert deux passionnées avides de partager à travers l'humour et l'anachronisme élevé au rang des beaux arts, ce classique de la littérature qui a traumatisé tant de lycéens et de lycéennes. Elles en font d'ailleurs partie !

Mais voilà, quand on relit ce chef d'oeuvre, plus tard, notamment à l'aune de la condition des femmes, on y trouve des trésors, surtout lorsqu'on est capable de s'en moquer !

Ainsi, Camille et Marion, comédiennes extraordinaires d'expressivité, de drôlerie et d'inventivité, se sont attelées à écrire cette pièce qui est un cadeau pour tous, au final : les flaubertiens, les anti-flaubertiens, les lecteurs, les non lecteurs, les bovaristes, les filles, les garçons et les autres ! Même ceux qui "ont préféré le film". Et il faut bien avouer qu'après avoir ri à s'en faire mal au ventre, on est ainsi récompensé.e.s de notre impudence par le fait d'en sortir moins con que lorsqu'on est rentré.e.s !

Car en plus de la vision propre au pastiche quand il est bien fait comme c'est le cas ici, on bénéficie de la singularité de ce regard croisé des deux comédiennes dont on devine que leurs synapses fonctionnent à vitesse grand V. Leurs jeux et leurs personnalités se complètent de façon incroyable et quand l'une représente Emma, l'autre le mari ou l'amant, on dirait de l'improvisation !

Pourtant c'est une pièce écrite et très bien écrite, documentée, d'où mon admiration sans borne.

C'est une pièce à savourer en groupe ou en solitaire, en famille aussi, en tous cas je la recommande dès l'âge du collège et du lycée !

A vos risques et périls toutefois : l'exemplaire poussiéreux de Madame Bovary que vous aviez oublié dans un coin de votre bibliothèque pourrait bien devenir soudain follement sexy et attirant pour plusieurs membres de votre famille !

Adeline Avril

Au théâtre des Célestins

Dates : du 3 au 21 juillet pas de relâche
Horaires : 11h30
Durée : 1h15
Lieu : Théâtre des Corps Saints
Genre : Classique révision duo humour
Distribution : de et avec Camille Broquet et Marion Pouvreau mes Decesari

jeudi 4 juillet 2024

Le Menteur

 Le menteur, Corneille revisité et revigoré par Marion Bierry

Vu au théâtre du Girasole /crédit photo : Le Girasole

Dorante n'est pas dom juan, mais son petit coeur s'enflamme rapidement. Sa capacité à réver tout haut et conter des sornettes afin de se sortir de situations difficiles mais aussi d'enjoliver son existence quelque peu oisive ne cesse d'angoisser son suivant et chaperon Cliton. Celui-ci n'en revient pas des facilités qu'a son jeune maître à faire d'un bouillon des agapes royales. Sortant d'études à Poitiers, il s'invente un retour de militaire afin d'augmenter son panache avec un certain pragmatisme : c'est plus facile pour séduire, n'est-ce pas ?

Dorante ne ment pas par omission, il ment "en grand, par goût" et provoque un enchevêtrement de situations qui ne l'inquiètent guère.

Ce n'est pas son soucis du prochain qui l'étouffe.

Promis à Clarisse, il s'entiche d'une inconnue nommée Lucrèce qui elle-même se joue de lui. De quiproquo en quiproquo, de fables en fables se tisse un virevoltant jeu de couples dans lequel l'amoureux authentiquement attaché à Clarisse - bien qu'il ne soit que son "second choix" -  joue les victimes éconduites et captives des chimères bien ficelée de son ami Dorante, qu'il pense d'abord son rival. 

Mais Dorante ignore que sa bien-aimée Lucrèce est la meilleure amie de Clarisse, qu'elles aussi sont à la fois rivales et cousues d'amitié. C'est du Corneille, c'est en vers et ça chante à l'oreille comme tinte un ruisseau  véloce et frais. Le père de Dorante, pressé d'être grand père et de marier son fils qu'il a choyé à l'excès, se voit lui aussi tourné en bourrique par ce rejeton malicieux autant que sur de son fait. En effet, grisé par sa propre faconde, croyant dur à la naïveté des gens qu'il prend pour des poupées, Dorante ne doute jamais de lui même quand un trou de mémoire le met en difficulté dévoilant sa forfaiture.

Comme je le disais c'est du Corneille et ça chante. Les rimes ne sont jamais avalées car il ne s'agit pas dans cette version de la jouer "contemporain" mais bien au contraire d'accuser le trait et d'insister sur les diphtongues désuettes qui deviennent des motifs humoristiques et sonnent une musique rythmée. Col-la-ti-on...

Mais en plus, ça chante "pour de vrai". La voix de stentor d'Alexandre Bierry fait merveille autant que son interprétation aussi expressive que gestuelle. La distribution est une veritable dentelle   haute couture , qu'il s'agisse des deux personnages féminins, jouant quasiment la gémélléité autant que la compétition amoureuse façon "m'aime-t-il ou t'aime-t-il?". Le valet Cliton, voix de la vérité, et sans doute aussi de la sagesse bien qu'il ne manque pas de gauloiserie est extraordinaire de naturel, de même que le comédien qui interprète le père naïf et "papa poule".

Tout ceci virevolte avec une drôlerie qui confine à la virtuosité. Les comédiens, tantôt jouant les masques, maquillés comme des poupées, tantôt les silhouettes, tournoyant et s'arrêtant sur image dans une gestuelle extrêment drôle et stylisée, jouant du trois quart face complice du 4ème mur, sont d'une agilité fabuleuse. 

La scénographie elle-même joue entre tradition et modernité. Au fond, un ciel d'un bleu de beau temps se prête à toutes les saisons et les heures du jour selon les actes et l'on y voit projetées les ombres chinoises des personnages, ce qui est du plus bel effet, donnant à la mise en scène un côté surréaliste, graphique, pictural, merveilleux.

C'est une pièce de théâtre faite pour les bons vivants, les gourmands en toute choses. Je ne dévoilerai pas les astuces des épisodes musicaux à la fois fidèles à l'ambiance et anachroniques à souhait ! Avec deux grand volets pliables comme des paravents, nous voyons deux maisons dont les toits deviennent des terrasses et la jonction une sorte de boulevard ou les épisodes élyptiques se déploient. Parfois, ces pans deviennent un mur sur lequel sont exposés les personnages à travers des fenêtres qui sont autant de tableaux où s'affichent les personnages.

C'est à la fois un ballet élégant où chaque texture à sa couleur, chaque personnage sa rutilance ou sa pudique sobriété, son pas de danse sur de petites sellettes qui les présentent  comme des oeuvres d'art, les personnages qu'ils sont, puisqu'ils sont ainsi présentés dans cette farce.

Reste que le propos bien qu'écrit dans cette langue leste, croustillante, apparaît dans tout l'éclat d'une universalité évidente : qu'est-ce que ce menteur, qu'est-ce que son mensonge ? Une facilité pour manipuler les autres, un art d'agrémenter la vie qui sans cela serait bien fade ? Quelle morale trouver à cette fable ? Le menteur est bien sympathique toutefois bien qu'on lui souhaite de trouver l'amour qui le guérira de ses mauvaises manies et la leçon qui le fera grandir et passer d'enfant gâté à homme de responsabilité.

Un très beau spectacle, qui a emballé la salle pleine et soulevé un choeur d'applaudissements sans retenue. Du plaisir, de l'esprit, de la culture, du rire et de la joie. Merci Corneille, Merci Marion Bierry. Nous souhaitons à nos amis, qu'ils goûtent de ce flacon là !

Pour tout âge et toute sensibilité, un régal.

Adeline Avril

Genre : Classique

Horaire:11H45

Durée: 1H30

Distribution : Alexandre BIERRY,  Benjamin BOYER,  Brice HILLAIRET,  Marion LAHMER,  Serge NOEL,  Mathilde RIEY ou Maud FORGET

Mise en scène : Marion BIERRY

Assistant mise en scène : Denis LEMAITRE

Décor : Nicolas SIRE

Adaptation : Marion BIERRY

Costumes : Virginie HOUDINIERE,  Virginie H.

Création lumière : Laurent CASTAINGT

Infos et réservations

Guichet : 24 bis, rue Guillaume Puy 84000 Avignon
Tél. location : 04 90 82 74 42

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