jeudi 27 juin 2024

Dolto : lorsque Françoise paraît

 

RAJE FAIT SON FESTIVAL /// ADELINE AVRIL VOUS PARLE DE "LORSQUE FRANÇOISE PARAÎT" OFF2022

Texte paru sur www.raje.fr



Dolto – Lorsque Françoise paraît – Atelier Théâtre Actuel à Avignon (theatre-actuel-avignon.com)

 OFF 2022

Dolto - lorsque françoise paraît

Durée : 1h20
Jusqu'au 30 juillet - Relâches : 25 juillet

à 16h50

 

Auteur

Éric Bu


Interprètes / Intervenants

 

  • Mise en scène : Éric Bu

  • Interprète(s) : Sophie Forte, Christine Gagnepain, Stéphane Giletta

  • Décors : Aurélien Maillé

  • Costumes : Julia Allègre

  • Lumières : Cécile Trelluyer

  • Création sonore : Pierre-Antoine Durand

  • Chorégraphies : Florentine Houdinière

  • Assistante mes : Sophie Bouteiller

  • Crédit photo : théâtre actuel



 

Cette pièce a déjà connu un succès fracassant. Il faut dire que Françoise Dolto, spécialiste de l’enfance et psychanalyste est connue même de ce que l’on nomme le grand public. En effet, elle a même été en quelque sorte une femme de media. Mère d’un chansonnier populaire nommé Carlos et d’une fille qui mettra ses pas dans ceux de sa mère, c’est une figure de la psychanalyse autant que de la vie des familles françaises.

 

L’on comprendra donc aisément que cette pièce, mettant en scène Françoise enfant, toujours accompagnée d’un personnage protéiforme qui est sans doute son ange gardien (et participe énormément de l’aspect jouissif et divertissant de la pièce qui aborde pourtant des sujets profonds, parfois douloureux), plaise. Car si le sujet Dolto n’a rien de glamour, le personnage qui en est tiré ici restera dans les annales. 

 

Trois comédiens incarnent tout un monde du début du vingtième siècle, notamment la famille de la petite Françoise, présentée comme une enfant très précoce et pleine d’esprit, facétieuse et mettant souvent à mal la rectitude d’une mère très conventionnelle autant que les réflexions d’une père pourtant passionné de science et ouvert sur la nouveauté.

 

Ainsi, nous découvrons sur scène, Sophie Forte, minuscule et extrêmement crédible en enfant surdouée qui déclare désirer exercer un métier qui n’existe pas encore: Docteur en éducation. Cela n’existe pas, lui rétorque -t-on.

Qu’à cela ne tienne, si ce métier n’existe pas, c’est qu’il faudra l’inventer!

 

A première vue on pourrait croire que tout tient sur les épaules de Sophie Forte seulement, et il est vrai que de bout en bout, on aimerait lui clamer notre amour. Pourtant, tout ce système judicieux d’allers et retours entre les réflexions de la petite Françoise et cette époque, ce milieu, qui lui semblent étriqués, tient aussi à la magie des deux autres comédiens qui jouent tantôt la mère, tantôt la fille pour l’une, tantôt le poste à galène (si si) tantôt le père, le fiancée et bien d’autres encore pour l’autre, dont….un certain Bernard Pivot!.

 

Le rythme de la pièce est envolé, émaillé de “mots d’enfants” qui résonnent d’une façon troublante quand on connaît l’importance que Madame Dolto aura dans son domaine. C’est aussi un personnage clivant à qui l’on a reproché d’avoir créé le phénomène de l’enfant Roi, et qui dit d'elle-même qu’à la maison, l’éducation, ce n’est pas “du Dolto dans le texte”.

 

Nous passerons directement de Dolto enfant à Dolto au soir de sa vie, Sophie Forte campe alors une Dolto en délicieuse vieille dame indigne comme on en voit dans les comédies anglaises. Ce procédé théâtral, comme l’écriture, la mise en scène et la scénographie, amènent sur scène un cirque bucolique mais dansant, montrant des possibles pistes de compréhension du phénomène Dolto en piochant dans son enfance comme dans ses divers entretiens. On se sent en proximité avec cette Dolto là, si humaine.

Ce n’est pas une pièce pédagogique, on n’est pas là pour voir un documentaire, c’est bien de théâtre qu’il s’agit, d’une création pure, d’un univers qui frôle le surréalisme dans sa facture.

Et à la fin le public se lève et pourrait continuer cette ovation encore une heure s’il ne fallait pas libérer la salle.

Adeline Avril 

mardi 25 juin 2024

Electre au 21ème siècle

 ATTENTION REPRISE DU COUP DE COEUR OFF 2023


HEUREUX LES ORPHELINS







Que vous soyez férus de mythologie ou bien de théâtre, ou bien que votre scolarité vous ait laissé “de beaux restes”, il est possible que l’histoire d’Electre et de son frère Oreste éveillent quelques souvenirs en vous.

C’est bien à ces deux là que nous avons affaire dans cette pièce, librement adaptée de Giraudoux, qui avait lui même déjà librement adapté le mythe originel. 


Mais il est inutile de réviser avant de venir voir le spectacle, qui vaut par lui même et vous tient en haleine d’un bout à l’autre!


Ainsi, au Royaume d’Argos, transformé en haut lieu de la gastronomie dont le chef et roi s’est donné la mort, nous retrouvons Clytemnestre et ses enfants , à savoir Electre l’affamée de justice et de vengeance et Oreste, son frère qui tente de continuer sa vie dans la politique, grâce aux petits arrangements du language dont il est devenu un expert auprès d’un ministre qui vous rappellera bien des hommes politiques de notre temps. Il est aussi torturé qu’Hamlet et sommé par Electre de venger son père.


L’adaptation proposée par Sébastien Bizeau est d’autant plus intéressante, que ce ne sont pas des détails qui sont actualisés mais les armes mêmes du combat. Quant à la forme, quoi de mieux pour une histoire de vengeance qu’un thriller philosophique? Pour autant, le texte de Giraudoux est adapté mais extrêmement respectueusement transmis, parfois à la lettre près.


Pourquoi la jeune Electre hait sa mère à ce point? Pourquoi ceci est-il une histoire de vengeance, alors qu’il n’y a pas d'ambiguïté sur les raisons du décès du père adoré (Agamemnon pour les intimes….)? S’il n’y a pas d’épée tranchante, comment la vengeance aura-t-elle lieu?

Comme souvent dans les meilleures enquêtes, on s'aperçoit après coup que tous les éléments se sont mis en place dès le début…Alors ouvrez l'œil et ouvrez les oreilles!


Les personnages , gravés dans l’inconscient collectif du théâtre pourraient sembler difficilement compatibles avec notre ère connectée, où les comptes se règlent sur twitter par shitstorm interposée… C’est toute l’intelligence du texte, de sa mise en scène et de son interprétation: les petits arrangements avec les morts et avec les vérités , les histoires familiales révisées, la tromperie, la jalousie, …..Franchement, peut-on dire des passions tristes et de la course au pouvoir que notre soi-disant progrès les a atténués?

L’auteur nous rappelle avec art que les mots sont si puissants qu’ils peuvent à la fois enfanter et tuer. Il y a de purs morceaux d’anthologie dans cette pièce, quand s’entremêle le jargon managérial et la communication politique. On en rit surtout parce que c’est “tellement vrai”, proche de nous, et tellement bien interprété, et pourtant, on pourrait à l’instar d’Electre, le dénoncer quitte à créer le chaos.


Chaque personnage porte sa vérité recomposée, son langage, selon son positionnement sur l’échiquier. Pas un noir, pas un temps mort, et des trouvailles scéniques qui vous arrachent tantôt des larmes tantôt un rire inattendu (voir notamment les personnages du cousin Pilade et ses avatars, en cœur antique un peu particulier, ou celui du ministre, pour lequel Oreste écrit des discours avec son cousin, que l’on sent bien proche du besoin de révélation de la belle Electre.


Le décor est d'une sobriété salutaire, mettant en avant les enjeux, les personnalités, le jeu des comédiens qui irradient littéralement cette histoire et en même temps la font chair et vérité avec et au-delà du verbe. Les quelques objets qui servent la scénographie ont trait à la communication et l’éclairage, autour d’un dispositif de salle d’attente nomade.


Un autre gros atout du spectacle, c’est sa distribution. Oreste et Electre, héros de cette machine infernale en marche, frère et sœur le plus souvent en communication par téléphones interposés, sont incarnés par deux comédiens lumineux et ombrageux à la fois. Electre est servie par l'énergie revendicatrice et habitée par la vengeance de Maou Tulissi , dont le visage pré raphaélique contraste avec la brutalité incandescente du personnage, et à laquelle s’oppose le jeu à la fois sobre et habité de Mathieu Le Goaster qui joue un Oreste  torturé et fidèle à sa sœur sans parvenir tout à fait à hair une mère imparfaite. Un Oreste qui est aussi le maître du jeu car il est le maitre des mots. Sensible dans l’intimité de la famille, presque cynique en situation de travail auprès d’un ministre burlesque, il est le fil de l’histoire et le bras vengeur, l’artisan du dernier événement, que je ne veux pas dévoiler ici.

Cette mère, Clytemnestre, est jouée par Cindy Spath, qui donne à la figure mythique de la mère indigne une épaisseur complexe, sensuelle et troublante, presque aimable. Faut-il la condamner? S’est-elle condamnée elle même? Bien que la pièce nous apprenne rapidement sa maladie puis son coma, lorsque son fantôme revient plaider sa cause auprès d’Oreste et d’Electre, l’incarnation de la comédienne nous met dans un nécessaire inconfort, car là encore c’est bien de langage qu’il s’agit. Jusqu’où peut-on aller, jusqu’où est-elle allée? A-t-elle joué, vraiment, un rôle dans le suicide de son époux? Avoir un amant est-il vraiment une vilenie méritant punition?


Les autres personnages sont interprétés par deux comédiens véritablement déjantés: Emmanuel Gaury  incarne en effet, tour à tour, dans un vent de folie, Egisthe (amant de Clytemnestre, coupable présumé de la mort du père- Agamemnon, toujours- le Ministre dont Oreste conduit la communication, le médecin qui annonce les mauvaises nouvelles de la santé de Clytemnestre à l'hôpital (les mots, toujours les mots), le prêtre de l’hôpital ….


De même pour le comédien Paul Martin, qui joue le tendre Pilade, cousin de la famille fort proche d’Electre, plaidant pour une parole plus vraie auprès d’Oreste quand il s’agit de repenser les discours du ministre, notamment au sujet du glyphosate (et oui!). Ce n’est pas son seul talent, mais puis-je dévoiler qu’une des scènes les plus folles lui revient, et qu’il pousse ma foi plutôt bien la chansonnette? Tour à tour psychologue lacanien, barman cosmique, porteur de  lumière, attaché parlementaire?… Il est époustouflant.


Bref, cette pièce est un véritable coup de cœur, que vous devez absolument venir voir cet été au théâtre de l’Oriflamme! 



Tous les jours à 16h45 (relâche les mardis)

Théâtre des Gémeaux


Texte et mise en scène Sébastien Bizeau

Avec Cindy Spath, Maou Tulissi, Paul Martin, Emmanuel Gaury, Matthieu Le Goaster,

Lumières et vidéo: Thomas Nimsgern

Costumes : Claire Bigot

Attachée de presse : Dominique Lhotte


Crédit photo : Cie Hors du temps



lundi 17 juin 2024

Rallumer les lucioles

Rallumer les lucioles

Vu au théâtre de l'Optimist




Un ami, c'est quelqu'un qui te connait mais qui t'aime quand même !

Quand on a une enfance hors norme, on grandit comme on peut, on s'arrange avec la réalité et on s'édifie un peu de guingois.

Ce seul en scène nous raconte comment on se débrouille, comment on fait avec une drôle de vie, avec un papa désœuvré qui aime la boutanche, la télévision, mais plus tellement la vraie vie et une maman qui est très belle même en camisole de force ?

A force d'humour, d'imagination et de tendresse, d'efforts pour devenir "normale" et même "super normale", "la plus normale", alors qu'on ne sait pas trop ce que c'est, en fait ,"normale", on arrive à faire semblant. Très bien. Et on y croit jusqu'à ce que ça pète ! Il faut beaucoup d'aller-retours pour devenir vraiment soi et accepter ses fêlures. Il faut avoir le sens du détail et du combat pour finir par s'aimer.

En regardant le spectacle, on se laisse gagner par cette façon qu'a le personnage de ne pas se laisser abîmer par le réel et on profite de toutes ses petites astuces pour rallumer les lucioles avec Sandra Fabbri qui réveille en nous la capacité d'imagination que tout adulte se sent obligé de mettre en veilleuse.

On se rappelle que les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel !


Texte et interprétation : Sandra FABBRI

Mise en Scène : Bruno BANON

Théâtre L'Optimist








dimanche 16 juin 2024

Stabilité Temporaire

Stabilité Temporaire

Vu au théâtre de l'Optimist




Qui a dit qu'on ne pouvait pas renouveler la comédie dramatique ? 

Bien évidemment pas les auteurs contemporains, qui rivalisent de créativité pour continuer de nous donner à voir et à penser en contournant les codes, en renouvelant la forme et parfois le fond.

C'est à cette question que répond la pièce de Grégoire Aubert, stabilité temporaire, dont le titre est déjà tout un programme. Il ne manque pas d'audace et c'est sans limites qu'il nous amène dans ce quadrille concassé, désossé, qui ravira les casse-cous théâtrophiles mais aussi les amateurs de théâtre tout simplement. 

Si vous faite partie de ces amoureux de théâtre qui ne vont plus au In parce que vous, vous aimez qu'on vous raconte une histoire et non qu'on vous prenne pour un cobaye (entendu souvent, je ne commente pas je cite), n'ayez crainte, Grégoire Aubert démontre que l'on peut expérimenter en théâtre audible autant qu'en théâtre dit de recherche, pour peu qu'on se méfie des recettes. Il prend le risque de sortir du cadre en chahutant les étapes habituelles de la structure théâtrale, pour autant, il vous raconte une histoire qui a un début et une fin. Une histoire indéfinissable. Ce pourrait être un thriller psychologique, un drame,... Difficile d'apposer une étiquette sur cet OTNI (objet théâtral non identifié) et pourtant les pièces du puzzle s'emboitent peu à peu.

Mais vous devrez pour mériter l'histoire, vous prêter au jeu de l'attention et ne rater aucune miette. Chaque neurone est mobilisé pour suivre ces cinq personnages interprétés par seulement deux acteurs.

Alors, ça parle de quoi, cette pièce ?

Deux hommes et deux femmes, deux couples étaient un soir autour d'une table, se tournant autour les uns des autres... Oui d'accord, mais que s'est-il passé ensuite ? Ensuite, et bien, il y a eu Francis, il y a eu des jeux de séduction, il y a eu un drame, les trahisons, la mort... Chaque personnage nous montre la vie à travers sa propre perception des événements, les plus infimes comme les plus dramatiques. Chacun parle d'amour, et donc des autres mais aussi de ses attentes, déclinant avec maestria sa propre quête de "stabilité temporaire". Un apaisement des tensions de type freudien ? Et s'il s'agissait aussi d'amour, ce drôle de fantôme qui prend parfois des formes inquiétantes ?

La scénographie, très inspirée par le cinéma, s'attache aux personnages d'une façon qui est, là encore, presque perturbante, mettant en valeur les physionomies des acteurs qui changent selon le personnage incarné. Très beau, à la fois clinique et esthétique.

Venez vous faire bousculer par cette pièce qui joue avec vos nerfs et vos sentiments.


Texte : Grégoire AUBERT

Interprétation : Pascale TRONCHE et Grégoire AUBERT

Mise En Scène : Gérard FATTACIOLI

Musique originale : LWADA

Crédit affiche : théâtre de l'Optimist


lundi 10 juin 2024

Les Enfants du Diable : Clémence Baron nous touche au coeur par Adeline Avril


 


Les enfants du Diable

Vu au Théâtre de l'Oriflamme

Ecrit par Clémence Baron

MES par Patrick Zard

Avec Clémence Baron et Antoine Cafaro

Au théâtre de l'oriflamme du 3 au 21 juillet à 11h30

Relâche le lundi


Et s'il était possible que les enfants du Diable prennent leur revanche sur la vie ?

Véronica, Mirella et Niki sont nés dans la Roumanie de Ceausescu et ont grandi dans le chaos qui a précédé sa chute. Alors qu’on découvrait notamment les horreurs liées à la prise en charge des enfants en général et à ceux qui n’avaient pas le bon goût d’être absolument fonctionnels selon des normes productivistes et inhumaines.

Trois enfants d’une même fratrie, trois destins, trois tragédies.

Ensemble, c’est trois !

Mirella, personnage central de l’histoire bien qu’elle ne soit pas incarnée, souffrait d’autisme et a été considérée comme irrécupérable, donc elle fut confinée dans un de ces mouroirs de l’époque, sans amour et sans hygiène et elle y a contracté le VIH.


Niki est resté en Roumanie, espérant récupérer la garde de Mirella dès que possible.

Veronica, elle, a été adoptée à dix ans par une famille française. Celle-ci pouvait accueillir Niki, mais pas Mirella.

Pour Niki, “ensemble” c’est trois ! Veronica est donc partie seule, à 10 ans, elle a choisi la vie.

De loin, son grand frère a suivi la carrière de chanteuse de Veronica, elle qui a continué de grandir dans l’amour parental de ses nouveaux parents français. Tout semble lui sourire, il se dit qu’elle les a oubliés, lui et Mirella.

Pourtant Veronica ne se remet pas de ce choix qu’elle a fait à dix ans, de ce sentiment d’avoir abandonné son frère et sa sœur Mirela. Son paradis n’est que de façade. Elle ne se remet pas non plus du fait que Niki ait refusé de venir avec elle. Il a en quelque sorte choisi Mirela dans ses yeux d’enfant. Quant à Niki, il en veut à la terre entière et son amour pour Veronica est entaché d’amertume. Alors qu’il a pu avoir enfin la garde de Mirella jusqu’au décès de celle-ci, il continue de parler à son fauteuil vide et il lui raconte ce qu’il sait du passé, du présent, il ne parle pas d’avenir. Il lui raconte ce qu’il sait de la carrière de chanteuse de Veronica, il est toujours acide et blessé.

C’est dans un moment de “dialogue” avec cette chaise vide, que nous retrouvons Niki, vivant la vie comme elle vient dans son pays d’origine.

Un jour, alors qu’il rentre chez lui, Veronica en personne se tient en face de lui, enceinte jusqu’aux yeux.

Vous vous doutez bien que ces retrouvailles tardives ne seront pas de tout repos. 


Clémence Baron, par cette pièce, témoigne pour sa sœur Mirella, autiste, qui, elle est heureusement toujours parmi nous. Elle se saisit de ce pan d'histoire dont personne n'est sorti grandi pour célébrer la pulsion de vie des victimes de la dictature. Elle célèbre la différence comme elle sait si bien le faire, sous différentes formes.

Elle nous offre un face à face singulier entre survivants. Car il y a tant de manières de survivre à l'inconcevable ! Au lieu de se perdre en discours historiques le beau duo tantôt antagoniste tantôt symbiotique qu'elle forme avec Antoine Cafaro nous donne à voir la complexité des destins et les différentes histoires que chacun peut se raconter pour faire face et avancer. Ce grand frère qui a pris à cœur des responsabilités quasiment parentales avec la plus fragile de la fratrie et cette enfant de 10 ans qui a choisi, intuitivement, la vie, sans comprendre pourquoi le grand frère ne la suivait pas en France.

Niki a cru être le seul à souffrir, s'abîmant dans l'aigreur de l'abandon. Saisira-t-il la main tendue par Veronica ? Sera-t-il encore capable de choisir la vie, l'amour qu'elle lui propose, malgré ses blessures ?

Les deux comédiens se complètent bien, chacun amenant son énergie propre. Antoine Cafaro , quasiment hiératique, enfermé dans sa boucle temporelle, ses rituels mémoriels, sa relation fantomatique avec Mirella et Clémence Baron, brulante, portant la vie et torturée mais rendue capable d'espoir. Le frère et la sœur sont deux forces qui s'affrontent, se vampirisent d'abord puis se nourrissent. Mirella veille peut-être sur ces deux là avec son bon sens tout singulier.

On sort touchés au cœur.

La mise en scène de Patrick Zard, centrée sur les ressentis complexes de personnages, ne les encombre pas d'écueils inutiles. Quelques accessoires symboliques font apparaître en creux Mirella l'absente, à la fois pierre de discorde et ciment fraternel. La lumière intimiste nous rappelle sans misérabilisme que nous assistons ici à un chemin de résurrection en somme, dans la pâle lueur d'un monde qui renaît lentement. C'est un long chemin qui mène de l'ombre à la lumière quand on a pris l'habitude de se cacher. Veronica, par son chant, va-t-elle rendre Niki à sa vie ?

Je vous encourage à venir partager ce chemin vers la lumière, un bel hommage à l'amour fraternel. Un rappel de l'histoire contemporaine à travers les oubliés des manuels, ceux qui sont pourtant de vrais héros.


Adeline Avril


Crédit photo : Philippe Hanula




https://billetterie-oriflamme.mapado.com/



La prostitution étudiante : une pièce pour comprendre et espérer : J'aimerais Arrêtée par Adeline Avril




Alors qu'elle n'en peut plus, un soir, Sonia recherche de l'aide sur internet. Trouvant le site d'une association dont la mission est d'aider les étudiants et étudiantes à sortir de l'engrenage de la prostitution, elle laisse ce message, comme on lance une bouteille à la mer: "je voudrais arrétée". La faute d'orthographe est aussi vraie que l'histoire de Sonia. Ce qui suit, c'est la relation épistolaire (digitale) qui va se créer entre elle et François, bénévole de cette association, dans le chaos du monde. 

Y-a-t-il encore du sens à rechercher de l'aide, à l'espérer de l'autre un mot qui fait la différence ?

Y-a-t-il encore du sens à aider sans rien attendre en retour qu'une flamme de vie dans l'autre qu'on ne connaît pas et qui sombre ?

J'aime beaucoup le théâtre de Violaine Arsac. Elle aborde des sujets dramatiques et cherche le meilleur angle afin de faire entrer la lumière par les brèches, même lorsqu'elle traite des sujets les plus désespérants. Ici, il s'agit de la prostitution étudiante.

Encore une fois, elle a trouvé le moyen de traiter théâtralement ce sujet de façon inédite, tout en y mettant une pincée d'espoir.

Bien évidemment, on ne verra pas ici un énième Christiane F et c'est sans doute ce qui est perturbant dans la version qui nous est proposée. L'héroïne est bien loin des clichés que l'on a souvent associés à la prostitution : drogue, déchéance physique et psychique, maladie mentale ou autre, et si son incapacité à résister à l'argent "facile" en vendant son corps l'amène souvent au bord du gouffre, lui donnant envie de mourir, elle continue malgré tout, de façon étonnante, à travailler pour "son avenir", se présente aux partiels, étudie, vie quasiment une vie ordinaire. Bien sûr sa famille ne peut se douter de rien.

Et ce n'est pas une version édulcorée de la problématique qui nous occupe ici, puisque Violaine Arsac a adapté le livre éponyme écrit par un bénévole associatif, bénévole qui est le second personnage de cette pièce. Car oui, c'est bien d'une histoire vraie qu'il s'agit.

La force de ce spectacle réside donc dans sa véracité, dans sa mise en scène aussi discrète qu'efficace et bien sûr dans le jeu admirable des deux protagonistes : chacun à un bout d'internet, tapote sur son ordinateur, ce pourrait être pénible et c'est pourtant éblouissant. De cet internet qui amène la facilité pour les prédateurs de trouver des proies et donc facilite la prostitution, sort aussi la profonde humanité de ce François qui tente sans juger de donner de la force à cette jeune fille qui demande de l'aide et est toujours sur le fil du rasoir.

C'est aussi un angle original du parti pris de mise en scène de Violaine Arsac : des ténèbres on peut faire jaillir un peu de lumière. Et les deux comédiens sont poignants, chacun face à ses difficultés, ses doutes, la limite de ses possibilités. Charline Fréri, jeune comédienne lumineuse dans le rôle de Sonia et Aliocha Itovich, comédien sensible, habitué du monde de Violaine Arsac et bien connu des amateurs de théâtres incarne un François tout en nuances.

Une autre force du spectacle c'est qu'à l'heure actuelle, alors qu'on reconnaît enfin la souffrance des femmes, la toxicité réelle d'un patriarcat oppressant, l'opprobre aveugle est jetée sur l'ensemble du genre masculin. Ici, les prédateurs ne sont pas occultés, ce sont les consommateurs de chair fraîche qui tentent la jeune fille modeste et font cet dynamique de l'offre et de la demande qui la réduit à un fantôme. Mais le bénévole, lui, offre une autre vision de l'homme, non prédateur, non paternaliste, aidant neutre. Une autre possibilité.

On se réjouit de voir mis en lumière une masculinité vertueuse. Même si on m'opposera qu'elle n'est pas une généralité, il me semble intéressant de la montrer, de l'opposer au culte du bad boy qui lui, n'est jamais remis en question.

Voilà donc plusieurs raisons d'aller voir "je voudrais arrétée" au delà même de cette réflexion proposée sur la prostitution étudiante. Violaine Arsac, comme toujours, multiplie des regards possibles sur le fléau en s'attachant aux individus. Si elle traite des problèmes, ce qu'elle propose aussi c'est un théâtre fondé sur la mécanique des solutions.

Autant de pistes pour vous donner envie d'aller voir cette pièce pendant le off au théâtre de La Luna. Vous l'aurez compris, je l'ai aimée, donc je la conseille ! 


Adeline Avril




Texte de François Wioland, bénévole du mouvement du nid

Adaptation et Mise en scène de Violaine Arsac

Jeu : Aliocha Itovitch et Charline Fréri

Musique : Stéphane Corbin

Lumières : Amandine Voiron


Réservations : 04 12 29 01 24 

Du 29 juin au 21 juillet  (relâche les 3, 10, 17 juillet)
à 14h40  
Durée: 1h05
LA LUNA  / QUARTIER LUNA 

Triangulaire ou La maîtresse imaginaire, de Yamina Hadjaoui par Adeline Avril

 



Triangulaire , comédie écrite et mise en scène par Yamina Hadjaoui 

Vu au théâtre de la Tache D'Encre à Avignon


Voilà le couple de Tiphaine et Mathieu arrivé à la cinquantaine : les enfants n’ont plus besoin d’eux, le nid est vide, et ce qu’ils ont été ces dernières années , ce qu’ils sont devenus ne leur permet plus de fonctionner dans un monde qui a changé. Un monde dans lequel ils se sentent dépassés, obsolètes. 


L’une a des bouffées de chaleur et quelques sautes d’humeur quand l’un se sent mal aimé, éternel second rôle. Comment redevenir amants après avoir été essentiellement parents ?

Deux, est-ce assez pour retrouver le goût de vivre et de participer au monde, pour se configurer de manière à aimer et désirer ?


Ce fameux troisième "côté" qui manque désormais, par qui ou quoi peut-il être remplacé, ou représenter, de façon à retrouver un équilibre ?

C’est à partir de ce questionnement que l’auteure, fascinée par le couple en tant que sujet théâtral, à bâti une comédie autour du sujet de la cinquantaine, ce moment de crise riche en situations humoristiques et questionnements existentiels.


Bien sûr, Tiphaine et Mathieu vont tâtonner et incidemment trouver un troisième angle susceptible de les revigorer… Mais comment vont-ils s’y prendre, jusqu’où vont-ils aller ?


Une pièce avec canapé dont la scénographie soignée exalte le décalage , ce qui en fait autre chose qu'un marivaudage.

Le décors noir et blanc permet de suivre les personnages sans être encombré par un souci lié aux "accessoires" et plonge les personnages dans un univers simple et élégant qui nous signale immédiatement en entrant l'universalité des propos.

Dans cette mise en scène au service du texte et des comédiens, on suit non seulement l'état d'esprit des personnages, que leurs mots articulés contredisent, mais on plonge aussi dans leur chaos personnel.
Et bien sûr, il y a le soupçon, les égarements, le suspense !

Une comédie bien menée, vraiment drôle. Sans prétention affichée, elle surprend par sa profondeur et une vision juste de la condition humaine vécue à deux et pourtant toujours solitaire.

Une belle surprise pour cette création "spécial off".

Il est à noter que cette année, l'autrice et metteuse en scène Yamina Hadjaoui présente aussi une spectacle pour jeune public au théatre du Rouge Gorge ! Un nom à retenir !



Au théâtre de la tache d'encre, 1 rue de la Tarasque
1h 10
Ecriture et Mise en Scène : Yamina Hadjaoui
Avec Marie-Ange Gil et Julien Joerger
Scénographie et décors: Igor Fernandez
Costumes: Marie-Ange Gil
Tous les jours à 20h
Relâche le 9 et le 18
Réservations : Tel: +33 (0)4 90 85 97 13







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